Contexte politique en Equateur

En Équateur, l’année 2023 s’achevait avec l’arrivée au pouvoir d’un nouveau président, Daniel Noboa, élu suite à une crise politique ayant mené à la démission de son prédécesseur et à la dissolution de l’Assemblée Nationale.
Cet héritier du Groupe Noboa, un des principaux conglomérats du pays regroupant environ 150 entreprises et dont la fortune est fondée sur l’exportation de banane, a fait campagne sur fond d’une politique conservatrice et d’un programme économique basé sur l’extractivisme.
Il faut toutefois noter que les lignes politiques se confondent souvent en Équateur. Les luttes électorales se fondent moins sur les idéologies que sur l’affrontement constant entre les partisans de l’ancien président Rafael Correa et leurs adversaires, au travers d’alliances politiques en perpétuelle évolution. Ainsi, Daniel Noboa, récemment arrivé en politique comme député en 2021, se retrouva contre toute attente au second tour des élections en concentrant le vote « anti-correiste ».
Le mandat du nouveau locataire du palais de Carondelet a rapidement pris une tournure sécuritaire suite à l’évasion de prison d’un important chef de gang et aux événements violents qui s’en suivirent durant le mois de janvier 2024. Déclarant une « guerre interne », Daniel Noboa a instauré l’état d’exception dans plusieurs provinces, engageant par la même, la militarisation du pays. L’Équateur est, en effet, frappé par une vague de violence depuis plusieurs années. Considéré pendant longtemps comme l’un des pays les plus sûr du continent, il est devenu une plaque tournante du narcotrafic et l’un des plus dangereux.
En 2024, pour la seconde année consécutive, il se classe au premier rang des pays les plus violent d’Amérique latine avec un taux d’homicide intentionnel de 38,4 pour 100 000 habitants. La politique de la « main dure » adoptée par le gouvernement s’apparente plus à une stratégie de communication qu’a un réel plan d’action destiné à lutter contre les organisations criminelles. Plusieurs fois remis en question par la cour constitutionnelle, l’état d’urgence engendre de surcroit le viol des droits de l’homme selon Human Right Watch. On dénombrait ainsi 15 exécutions extrajudiciaires, 80 cas de torture et plusieurs cas d’enlèvements commis par les forces de l’ordre alors même que l’insécurité progresse.
 

Le Napo, province où Ihpingo opère, est relativement épargnée par ces violences, mais ses effets se font toutefois ressentir. La présence des gangs est désormais établie et s’illustre par le racket de certains commerçants ou l’apparition des sicariatos (méthode d’assassinat ciblé importé du Mexique). Les cartels, en connivence avec certains responsables politiques, se sont emparés de l’orpaillage illégal qui continue de ravager les écosystèmes et le tissu social des communautés indigènes.
L’insécurité impacte également fortement le tourisme, une des principales sources de revenu du Napo avec l’agriculture. Cette année, la province est devenue la plus pauvre du pays, 74% de la population vit avec moins de 3 dollars par jour. Une situation déplorable, alors même que l’on estime que se sont entre 8 et 11 millions de dollars en or qui sortent chaque jour des mines illégales qui parsèment le Napo, mais dont les populations locales ne voient pas la couleur. En parallèle, le coût de la vie augmente, le panier alimentaire basique dépassait ainsi les 800 USD, près du double du salaire minimum alors que le marché de l’emploi reste très précaire, environ 7 équatoriens sur 10 dépendent du secteur informel. Le tout dans une économie qui devrait rentrer en récession cette année selon le FMI.

Dans les communautés où nous travaillons, cette situation pousse de plus en plus de personne à se tourner vers l’extractivisme pour survivre. Certains permettent aux orpailleurs de ravager leurs terres, la seule richesse qu’ils possèdent, dans l’espoir de récolter une petite partie du pillage qui s’opère. D’autres se laissent séduire par les éternelles sirènes des industries agro-exportatrice.
Face au déclin des plantations intensives de cacao en Afrique de l’Ouest (70% de la production mondiale), frappées par les pathogènes qu’impliquent ce mode de culture et les mauvaises conditions climatiques, le prix de cette denrée prisée atteignait presque les 13 000 USD la tonne en cette fin d’année (contre 4 000 USD en janvier 2024). Troisième produit d’exportation non-pétrolier en Équateur, les revenus liés au cacao ont enregistré une augmentation inédite de 182% par rapport à l’année dernière. Sur le terrain ceci s’est traduit par une augmentation du prix de la livre de fèves sèches de 0,9 USD à près de 4 USD. Une revalorisation perçue comme une lueur d’espoir par certains qui se sont rués vers l’or brun. Délaissant souvent le cacao national (adapté aux conditions locales et d’une qualité exceptionnelle), au profit de cacaos clonés plantés en monoculture (à la production plus importante les premières années, mais obligeant à déboiser et à utiliser bon nombre d’intrants chimiques), reproduisant les mêmes erreurs que les agriculteurs africains il y a quelques années.
Cette année a également été caractérisée par d’importants aléas climatiques. Le changement du climat au niveau global ajouté aux effets du phénomène El Niño a impacté la fructification de certaines espèces faisant partie de notre plan de reforestation, menaçant notre approvisionnement en graine. L’Équateur a également été frappé par une importante sécheresse entre les mois d’août et décembre 2024. La production électrique au niveau national dépendant de l’énergie hydroélectrique, nous avons connus des coupures de courant allant jusqu’à 14 heures par jour. Seraient-ce les prémices de la savanisation annoncée de l’Amazonie ?
Dans le Napo, l’année 2024 s’est achevé dans un contexte de forte mobilisation sociale en réaction au projet de construction d’une prison de haute sécurité à quelques centaines de mètres de quartiers résidentiels et de centres éducatifs. Voulu par le gouvernement dans le contexte de son tournant sécuritaire, la construction de cette prison au « style Salvadorien de Bukele » suscita l’opposition des populations locales, car considérée comme illégale et risquant d’intensifier la criminalité dans le secteur. En effet, le projet ne respectait pas les prédispositions constitutionnelles. De plus, les prisons en Équateur sont sous le contrôle des organisations criminelles et sont régulièrement le théâtre de massacres violents. Après 15 jours de paralysation de la région nous empêchant de réaliser nos activités dans le secteur, les manifestants ont finalement obtenu gain de cause.
Toutefois, cet événement est symptomatique d’une situation politique tendue dans le pays et des dérives autoritaires du président qui refuse de quitter son poste au profit de la vice-présidente comme l’exige la constitution à quelques semaines des élections présidentielles et législatives qui auront lieux en 2025.
Le contexte équatorien ne s’améliore donc pas d’une année sur l’autre et les défis auxquels nous devons faire face sont de plus en plus nombreux. Néanmoins, Ishpingo sait se montrer résilient et malgré les difficultés conjoncturelles de financement, nous redoublons d’efforts pour proposer des solutions toujours plus pertinentes face aux enjeux croissants qui se présentent à nous.

 
 

Par , coordinateur de projets chez Ishpingo.

 
 

Le contexte politique en Équateur en 2024