#1 La forêt amazonienne, un écosystème inestimable plus menacé que jamais.
Depuis de nombreuses années la communauté scientifique n’a de cesse d’alerter le monde vis-à-vis de la dégradation des grands équilibres écologiques générée par les activités humaines au niveau mondial. La forêt amazonienne en est un exemple criant et on ne compte plus les images impactantes de milliers d’hectares de forêt partis en fumée, régulièrement reprises dans les médias.
En effet, en 2023, une étude démontrait que plus d’un quart de la forêt originelle avait été détruit et que 38% de la forêt restante voyait ses fonctions vitales mise en péril.
L’Amazonie a atteint un point de bascule, elle n’est plus capable de renouveler ses propres pluies et certaines parties se transforment peu à peu en savane, réduisant considérablement ses capacités d’absorption de carbone. Depuis 2000, 76,2% de la forêt a perdu en résilience. Tant est si bien qu’en 2021 elle commençait à émettre du carbone.
Si la forêt pluviale venait à disparaître, ce serait environ 90 milliards de tonnes de CO2 libérées dans l’atmosphère, soit l’équivalent de plusieurs années d’émissions de l’ensemble de l’humanité.
La forêt amazonienne joue également un rôle essentiel sur les cycles hydrologiques régionaux et influe sur les précipitations de pays comme l’Argentine ou le Brésil, grands producteurs et exportateurs agricoles qui participent à l’alimentation mondiale. La réduction des pluies dans la région due à la dégradation de la forêt aura des répercutions catastrophiques au niveau mondial.
En plus d’être un véritable puits de carbone et de jouer un rôle primordial dans la stabilisation du climat mondial, les 6,9 millions de km² de l’Amazonie abritent plus de 34 millions de personnes qui souvent dépendent de la forêt pour leur survie. C’est aussi l’habitat de près de 10% des espèces de faunes et de flores terrestres de la planète.
On y trouve 40 000 espèces végétales et des milliers d’espèces animales, sans compter toutes les espèces encore non décrites à ce jour.
Cette formidable biodiversité est d’une importance inestimable pour l’ensemble de l’humanité car ce sont autant de solutions à certains défis biologiques majeures. Du traitement de l’hypertension grâce à l’étude du venin de la vipère fer-de-lance amazonienne au développement de nouveau fongicide grâce à la fourmi coupe feuille. La conservation du savoir des peuples racine qui vivent dans la région est essentielle pour accompagner l’étude de ce formidable laboratoire naturel résultant de milliers d’années d’évolution.
À l’inverse, la déforestation fait surgir de nouvelles épidémies. En effet, selon le rapport de la FAO 2022, 30% des nouvelles maladies recensées depuis 1960 sont attribuée à un changement d’affectation des terres forestières.
Enfin, on mesure souvent difficilement l’importance économique des forêts. Pire, on justifie régulièrement la destruction des écosystèmes par la nécessité de maintenir la croissance. Or en 2020, c’est plus de la moitié du PIB mondial qui dépend des services écosystémiques, dont ceux fournis par les forêts.
Il est donc primordial de préserver la forêt amazonienne qui joue un rôle essentiel à plusieurs niveaux, tant à l’échelle régionale que mondiale. Mais pour construire des solutions pertinentes, il nous faut comprendre les dynamiques de déforestation afin de s’adapter à la réalité de chaque région.
#2 La déforestation dans le Napo
La Province du Napo est située dans la haute Amazonie, sur les contreforts des Andes, aux confins du bassin versant de l’amazone. La déforestation qu’on y observe est différente de celle présente dans les plaines où la culture sur brûlis et l’élevage ravagent des hectares entiers. Dans la région où nous opérons, on parle plutôt d’une déforestation sélective.
L’explosion démographique dans une région jusqu’alors relativement isolée
Du fait de sa géographie, la province du Napo est restée relativement isolée au cours des siècles. S’il existait des relations commerciales entre les peuples de la haute Amazonie équatorienne et les sociétés andines comme l’empire Inca, c’est l’arrivée des espagnols et leurs incursions à la recherche de ressources à exploiter et de peuples à convertir qui connectera la région du Napo au reste du pays. L’établissement des conquistadores dans des centres urbains suivant le modèle européen a entraîné une première modification de l’usage des terres. En effet, même si de récentes études montrent l’existence de sociétés sédentaires pratiquant l’agriculture, on présume que bon nombre de peuples précolombiens avaient un mode de vie nomade se déplaçant au gré des saisons et des cycles agricoles entre différentes « chakras » (système agroforestier traditionnel).
La sédentarisation de ces peuples a mécaniquement généré une modification de l’exploitation des ressources naturelles dont ils ont toujours vécu. Les espaces autour des villes ont été déboisés pour nourrir une population grandissante et concentrée au même endroit. Petit à petit, le front pionnier se constituait.
Après l’indépendance du pays, cette logique de colonisation a continué. Sur fond de conflit territorial avec ses voisins, notamment dans la région amazonienne où les frontières sont floues, il fallait occuper le territoire afin de le revendiquer. En ce sens, des hectares entiers de forêt ont été octroyés à des colons venus des régions côtières et montagneuses selon le principe de « la terre appartient à celui qui la travaille ». Bien loin des revendications d’Emiliano Zapata (à qui on attribut généralement cette citation), la forêt appartennait alors à celui qui la coupait puisqu’il suffisait de délimiter un terrain par une tranché de dix mètres de large à travers la végétation pour le revendiquer. Les terres se devaient d’être « productive » pour servir les intérêts agro-exportateurs de la nation naissante.
Ceci favorisa l’accaparement des terres, la constitution d’hacienda et l’instauration de modèles agricoles importés, au détriment des populations locales et de leur mode de vie bien plus adapté aux conditions locales. Tant et si bien qu’entre 1967 et 2005, l’Institut Équatorien de Réforme Agraire et de Colonisation (IERAC) a concédé 3 650 000 hectares de terres, soit 35% de l’Amazonie équatorienne, à quelques 13 400 familles de colons. Cette logique perdure de nos jours et il est encore coutume de voir des communautés indigènes lutter contre l’envahissement de leurs terres afin d’étendre une exploitation en monoculture ou ouvrir une nouvelle mine d’or.
En plus d’importer des populations et des pratiques exogènes au contexte de la haute Amazonie, la colonisation a également influencé les populations locales. Outre la sédentarisation, l’apparition du droit de propriété, notamment foncier, a changé le rapport à la terre et aux ressources jusqu’alors relativement libre d’accès. La transition démographique chez les populations indigènes a entraîné une forte augmentation de la population. Au fur et à mesure des générations et des successions les vastes terres ancestrales ont été morcelées. D’autres ont été vendues pour une bouché de pain par des indigènes subjugués par la société de consommation et les addictions qui l’accompagne, à l’instar de l’alcool. Cantonné à des terres qui ne leur permettent plus de vivre de manière traditionnelle, les peuples autochtones se voient encouragés par les pouvoirs publics à pratiquer une agriculture conventionnelle à grand renfort de déboisement puis, plus tard, d’intrants chimiques et de mécanisation, afin de servir la politique économique extractiviste nationale.
D’autres sont poussés à l’exode, achevant de rompre le lien avec leur environnement et leur mode de vie plus harmonieux avec la forêt, résultant de milliers d’années d’apprentissage collectif.
Il ne faut toutefois pas tomber dans le « mythe du bon sauvage ». Si la colonisation et les dynamiques précédemment décrites jouent un rôle essentiel dans l’explication du processus de destruction des écosystèmes que l’on connaît de nos jours, les populations locales ont toujours vécues de l’exploitation des ressources naturelles de la région. L’augmentation de la population et le progrès technique ont naturellement entraîné une plus grande pression sur les écosystèmes. Néanmoins, aucune alternative économique n’a été mise en place dans la région. Au contraire, la logique extractiviste a été institutionnalisée.
Un modèle économique et des systèmes de productions extractivistes
Comme de nombreuse anciennes colonies, l’Équateur a hérité de son modèle économique et souffre d’une dépendance aux exportations de matières premières peu ou non transformées. En plus de ralentir son développement économique, cette dépendance explique en grande partie le processus de déforestation.
Nous l’avons vu, l’Amazonie équatorienne est relativement isolée du reste du pays du fait de sa géographie vallonnée et l’exploitation de ses ressources est difficile. Outre la volonté politique d’occuper le territoire, c’est bel et bien la logique économique qui a connecté la région au reste du territoire et de nos jours c’est cette même logique qui continue à faire avancer le front pionnier. Les premières routes ont été ouvertes par les espagnols afin d’accéder au mythique « El Dorado », supposé regorger d’or, ou encore au bien réel « Pays de la Cannelle », afin de concurrencer l’Angleterre sur le commerce des épices.
Une fois les voies d’accès créées, il est possible d’extraire les ressources de la région vers les Andes (siège du pouvoir politique) puis vers la côte et ses ports exportateurs (siège du pouvoir économique). Au niveau national, l’Amazonie a donc toujours été considéré comme un vaste territoire, peuplé par des citoyens de seconde zone et regorgeant de ressources devant être exploitées afin de servir les intérêts économiques du reste du pays.
De nos jours, c’est le pétrole, qui représente près de 30% des exportation du pays, et en moindre mesure l’or, qui entraînent la progression du front pionnier. De nouvelles routes sont tracées afin d’exploiter de nouveaux gisements et permettent par la même occasion d’extraire toutes les ressources de la région. Dans la forêt, les arbres de bois d’œuvre sont abattus, les écosystèmes se dégradent, la faune disparaît et la forêt perd alors sa valeur économique. Elle sera peu à peu rasée afin de laisser place à des activités dites « productives ». C’est ce que l’on appelle la déforestation sélective.
Le ministère de l’agriculture encourage alors les propriétaires terriens à mettre en place des monocultures de rente qui viendront servir le modèle agro-exportateur, comme la banane (15% des exportations en 2021) ou encore le cacao (3% des exportations en 2021). Ces monocultures peu adaptées à la région nécessitent de couper toujours plus de forêt et d’utiliser toujours plus d’intrants chimiques. Les petits agriculteurs voient alors leur situation se précariser devenant vulnérables aux variations des prix sur les marchés internationaux et dépendants des produits phytosanitaires de l’agro-industrie. Les infrastructures servent l’extraction des ressources, mais les paysans n’ont pas d’autre choix que de vendre leurs produits aux intermédiaires qui arpentent les routes en imposant leur prix dans une situation de surproduction et face au manque de débouchés des producteurs isolés. Ces derniers survivent bien souvent grâce aux quelques cultures vivrières qu’il leur restent et aux faibles allocations distribués par l’Ètat en compensation de l’exploitation de leurs ressources et de la destruction de leur environnement.
La pression anthropique est trop importante
Dès 1993, dans le 20ème volume de « Environemental Conservation », la communauté scientifique classait le bassin versant du Napo comme l’un des fronts de déforestation les plus actifs. Néanmoins, il est difficile de réellement quantifier la déforestation dans le Napo. En effet, à l’inverse des déforestations massives dont on retrouve souvent des images dans les médias, la déforestation sélective est bien plus compliquée à mesurer, même avec les récentes méthodes qui utilisent l’imagerie satellite.
De plus très peu de données sont disponibles auprès des autorités et les méthodes de comptabilisation peuvent être trompeuses. Ainsi, une parcelle de forêt primaire peut être rasée et remplacée par une monoculture de teck sans être comptabilisée comme étant déboisée.
À ce déboisement latent, s’ajoute l’augmentation criante de l’exploitation aurifère dans la région. Cette dernière détruit des hectares entiers de forêt et pollue les cours d’eau de manière irréparable. Face au manque d’alternative économique et à l’impossibilité croissante de vivre dignement de leurs terres, les populations locales se tournent vers les mines en se précipitant avec leurs bâtées traditionnelles et au péril de leur vie dans les trous béants laissés par les pelleteuses des concessionnaires bien souvent étrangers.
Comme dans le reste de l’Amazonie, on assiste à une véritable destruction des écosystèmes dans le Napo. Il est primordial de lutter contre ce phénomène dans cette zone stratégique qui constitue l’une des principales portes d’entrée vers les forêts primaires de la haute Amazonie et l’un des affluents majeurs du fleuve Amazone.
C’est à cette problématique que s’attaque Ishpingo au travers de ses différentes approches.