Les ravages de l'exploitation du pétrole en Amazonie équatorienne

Province de Sucumbios, Équateur – « Cette terre est morte » lance Camilo PAUCHE alors qu’il regarde avec consternation le désastre causé par l’industrie pétrolière à Pacayacu, un village équatorien d’Amazonie. Camilo est un indigène, il réside et vit de façon traditionnelle dans une zone très reculée de forêt amazonienne de la province équatorienne de Pastaza, accessible uniquement par le fleuve ou par les airs. Il est membre d’une délégation Huaorani et participe à une activité qui est normalement réservée aux touristes, universitaires et journalistes : le « Toxic Tour ».
La pollution causée par l'exploitation du pétrole en EquateurAutour de lui le spectacle est consternant, des buissons dépouillés de leurs feuilles, des cheminées fumantes, des fosses remplies de déchets pétroliers, des marres d’eaux noires et souillées, une terre désolée sur laquelle plus rien ne pousse… C’est la réalité quotidienne dans laquelle doivent désormais évoluer les groupes indigènes de la province de Sucumbios. Une réalité qui a un nom qui ironiquement n’existe pas dans la langue ancestrale de ces indigènes : contamination.
« L’eau a de l’importance, la vie a de l’importance, l’argent n’en a aucune » déclare Carmen NENQUIMO de la communauté Huaorani de Nemompare. « Au début où nous avons rencontré les compagnies pétrolières, elles ont négocié avec nous pour pouvoir passer, elles nous ont donnés des tronçonneuses, des objets motorisés. Nous pensions que c’était une bonne chose » ajoute-t-elle. « Aujourd’hui, avec le recul, nous savons que c’était une erreur. Il n’y a rien de bon dans tout ce qu’ils ont pu nous donner, parce que la vie est plus importante que toute autre chose ».

 

#1 Une prise de conscience violente

Quelques heures avant de rejoindre cette excursion toxique, les femmes Huaorani se sont rassemblées pour chanter et se préparer à ce voyage peu conventionnel. Elles ont revêtu leurs habits de cérémonie, constitués de colliers traditionnels et d’une jupe faite de morceaux d’écorce et de fil végétaux tressés.Femmes huaorani en tenue traditionnelle Elles se sont également peintes le visage avec la cire rouge qui entoure les graines de roucou. Ceci n’est qu’un aperçu de l’élégance et du raffinement de leur culture ancestrale. Une fois prêtes, elles ont rejoint les hommes Huaorani ainsi que d’autres groupes indigènes en provenance de certaines communautés de la province de Sucumbios. Ils sont enfin prêts à se rendre compte de l’impact que l’exploitation du pétrole a dans cette zone. Les mêmes impacts qui pourraient prochainement affecter leurs propres territoires si le gouvernement équatorien donnait la concession de la zone qu’ils appellent le « Block 22 » en pâture à l’industrie pétrolière. Cela a déjà été fait, rappelez-vous en 2013 lorsque le gouvernement de Rafeal CORREA a autorisé l’exploitation pétrolière dans le parc naturel Yasuni pourtant classé au patrimoine mondial de l’humanité.
Leur point de rendez-vous est la ville de Lago Agrio, proche de la frontière colombienne et du parc naturel de Cuyabeno. Le « Toxic Tour» est organisé par l’Alliance Ceibo, une ONG créée il y a 3 ans par les communautés Huaorani, Siekopai, Siona et A’iKofan pour s’entraider et défendre leurs droits.

De là où je viens, la forêt est encore intacte, avant que les compagnies pétrolières ne viennent nous empoisonner, nous voulons nous préparer à nous défendre. Ene Nenquimo, coordinatrice de l’Alliance Ceibo

 

#2 Les ravages de l’exploitation du pétrole

Pacayacu est un village situé dans la région administrative du Shushufindi dans la province de Sucumbios. Il s’étend sur une zone relativement restreinte qui stigmatise pourtant les ravages causés par l’industrie pétrolière et ses forages. Ce village est devenu célèbre en 2005 lorsqu’un groupe d’habitants a attaqué en justice la société Petroamazonas, dont l’état équatorien est le principal actionnaire, au sujet de la pollution générée par ses activités. Initialement condamnée à payer de lourdes réparations, la décision de justice a finalement été annulée suite à une requête du Président de la République de l’époque.Déchets pétroliers relâchés en pleine nature À Pacayacu, les participants rencontrent Armando NARANJO et Sixto MARTINEZ qui ont participé au procès contre Petroamazonas. Après avoir raconté leur histoire, ils donnent un conseil au groupe. « Ne laissez jamais les compagnies pétrolières venir sur votre territoire ou vous mourrez en essayant de le défendre ». NARANJO raconte que la productivité de sa ferme et la santé de sa famille ont gravement souffert après de nombreux accidents ayant conduit à des déversements massifs de pétrole entre 1988 et 1989. Au lieu de les aider, la société Petroamazonas a tout fait pour étouffer l’affaire. « Ils m’ont dit que les fourmis allaient tout décontaminer. 30 ans après la pollution est toujours là » lance-t-il. De son côté Sixto MARTINEZ se souvient de sa femme, morte à 36 ans d’un cancer qu’il attribue à des contacts répété avec du pétrole brut. « Je me suis retrouvé seul avec 6 jeunes enfants, j’ai failli mourir moi-même suite à des problèmes de santé. Les impacts de l’exploitation du pétrole ne se contentent pas de persister, ils s’aggravent avec le temps ». Un peu plus tard le circuit s’arrête près d’une piscine de rétention. Ces piscines mesurent 50 mètres de long, 40 mètres de large et sont profondes d’environ 3 mètres leur explique-t-on.Piscine de rétention des déchets Tout ce qui ne sert pas à l’industrie pétrolière est rejeté là, à quelques mètres des fermes des locaux. Le programme de réparation des préjudices environnementaux et sociaux, initiative du Ministère de l’Environnement équatorien, considère la zone de Pacayacu comme l’une des zones d’Amazonie les plus durement touchées par les activités humaines. En 2017, 530 sources de contamination ont été enregistrées dans la zone, comprenant 128 piscines de rétention, 272 fosses à déchets et 130 déversements sauvages de pétrole. L’exploitation pétrolière en Équateur a débuté dans les années 70, menée par le géant américain Texaco, pour une production totale de 6 millions de barils en un peu moins de 50 ans. En 2016, il y avait 5 224 puits de pétrole dans le pays dont 1 660 forés entre 2010 et 2016. La construction de routes pour faciliter les activités liées à l’exploitation du pétrole ont mené à la déforestation d’environ 6 500 km² de forêt entre 1990 et 2015. Pour le moment il n’y a ni puits de pétrole, ni routes d’accès pour les bûcherons ou les chasseurs sur le territoire des Huaorani. Néanmoins leur territoire contient quelques 13 500 kilomètres de sentiers d’exploration réalisés par les compagnies pétrolière pour chercher du pétrole.

 

#3 Les populations indigènes menacées par le pétrole

68% des champs pétrolifères d’Équateur sont situés sur les territoires de populations indigènes. C’est le taux le plus fort parmi tous les pays du bassin amazonien selon un rapport du Réseau Amazonien d’Information Socio-environnemental (RAISG). Les tribus A’iKofan, Siona et Siekopai sont celles qui doivent supporter le plus de pression avec 100% des champs pétrolifères présents sur leurs territoires qui sont exploités, précise le rapport. Celui-ci ne parle pas en revanche des dégâts causés par l’industrie pétrolière sur ces mêmes territoires depuis le début des années 70 et l’arrivée de Texaco. Plusieurs membres de communautés indigènes ont accusé Texaco d’avoir déversé dans la nature 71 millions de litres de résidus pétroliers et 64 millions de litres de pétrole brut durant les 26 ans où l’entreprise opérait sur le territoire équatorien.Les Huaorani expert de la vie en forêt tropicale Les poursuites officielles débutèrent au début des années 90 et furent conclues à la cour de justice de Lago Agrio en 2011 lors d’un procès où l’entreprise Texaco fut condamnée à payer 9,5 milliards de dollars en réparation des ravages qu’elle a causé sur l’environnement. Malheureusement en raison du manque d’actifs de la société en Équateur, cette somme n’a jamais été versée. Les avocats des victimes sont obligés de lancer de nouvelles poursuites dans d’autres pays dans lesquels opèrent Texaco tels que le Brésil, le Canada ou l’Argentine. Ces poursuites n’ont pour l’heure rien donné…
Et quand on parle de ravages causés par Texaco, c’est un euphémisme. Des études menées par un spécialiste de la santé liée à l’environnement dans les provinces de Sucumbios et d’Orellana font froid dans le dos. Parmi les 1 579 familles consultés, 479 personnes de 384 familles présentent des cancers de différents types, en d’autres termes cela signifie qu’une famille sur quatre environ a au moins un membre malade. 65 familles en ont deux, 15 familles en ont trois… 82% des familles consultées ont précisé que l’eau à laquelle elles avaient accès était contaminée. Mais la pollution n’est pas le seul mal répandu par l’industrie pétrolière. Elle a amené au sein des communautés indigènes des conflits d’intérêt, l’alcoolisme, l’addiction à la drogue, elle a contribué au développement de la prostitution.

 

#4 Les Huaorani prêts à défendre leur droit d’exister

Plusieurs hommes Huaorani participant au Toxic Tour ont amené avec eux un symbole important de leur culture : leur lance. Ils sont venus ainsi armés pour littéralement affronter le mal inconnu : puits de pétrole, piscines de rétention, cheminées crachant des flammes. Ils font ce circuit dans le but de faire face à leurs peurs, pour être en mesure d’expliquer ensuite aux membres de leur communauté le genre de ravages que peut causer l’exploitation du pétrole sur l’environnement.Installation pétrolière en pleine forêt amazonienne Ils ont chacun écouté avec attention les histoires que leur ont racontées les habitants du village de Pacayacu et ils ont semblé anéantis par tant de tristesse.
Depuis quelques temps les Huaoranis ont pris les devants. Ils travaillent en collaboration avec l’Alliance Ceibo pour démontrer à tous que leur terre n’est pas une terre en friche inutile. Qu’il s’agit d’un écosystème fragile, plein de ressources et qu’il est nécessaire de les préserver. Ils se sont également rapprochés d’une équipe d’avocats spécialisés pour mener le combat sur le terrain juridique au niveau national et international afin d’éviter que les compagnies pétrolières ne se substituent à l’état et qu’elles ne puissent plus continuer impunément à séparer les communautés indigènes de la forêt qui a assuré la prospérité de leurs ancêtres pendant des générations et des générations.

 

Traduit et adapté de l’anglais par

 

Source: https://news.mongabay.com/

 

Equateur, comment le pétrole impacte la forêt
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