Bilan 2023

Les années se suivent et se ressemblent et il est malheureusement force de constater que la situation en Équateur en 2023 a continué à se dégrader:

  • poursuite de l’extractivisme au détriment de l’environnement et de l’humain,
  • insécurité croissante dans les villes mais aussi dans les campagnes,
  • sécheresse généralisée provoquant un ralentissement des centrales hydroélectriques obligeant un rationnement de l’électricité au niveau national,
  • instabilité politique avec des élections anticipées et l’élection d’un nouveau président dont la priorité est la lutte contre l’insécurité et la libéralisation de l’économie au détriment de la réduction des inégalités.

#1 Accentuer la diversification de nos activités.

Les faits en 2023 ne sont pas de nature à rendre optimiste, mais en réponse à ces difficultés croissantes, Ishpingo ne baisse pas les bras.
Au contraire nous avons redoublé d’efforts, toujours en plantant beaucoup d’arbres mais également en accentuant la diversification de nos activités.
Et pour faire face à ces défis croissants, notre équipe s’est encore renforcée en 2023 !
Nous sommes heureux d’annoncer la création de 2 nouveaux emplois locaux avec l’embauche de Hendry GREFA, ingénieur agronome, qui arrive en renfort sur le projet de reforestation participative et Marcia AGUINDA, technicienne et présente sur tous les fronts : la fabrique agro-alimentaire, la gestion des ruches mélipones et des platebandes de germination des graines toujours plus nombreuses.
Avec l’arrivée des 5 nouveaux services civiques (Arthur PREVOST, Paul WEULERSSE, Louise GENTILS, Clémentine SÉRIEYS et Gwendal BODÉRÉ), nous sommes maintenant 11 personnes à œuvrer à la réalisation des activités d’Ishpingo. Sans compter Christophe IENZER notre webmaster qui travaille dans l’ombre mais nous est d’un énorme soutien.

 

Notre réseau continue à s’étendre localement. Par exemple, nous nous sommes rapprochés de 2 ONG, YAKUM et ENGIM qui travaillent en Amazonie sur des projets agroforestiers. Dans un contexte de changements climatiques provoquant d’importantes difficultés au niveau de la fructification des arbres mères, nous unissons nos forces pour l’approvisionnement en graines. Selon les zones d’intervention, les graines de certaines espèces sont plus accessibles pour l’une ou l’autre de nos ONG. Alors nous faisons des échanges.
 
Le partenariat signé avec l’université régionale amazonienne IKIAM prend forme puisque 3 étudiants en master recherche ont fait leur stage de fin d’étude sur des espèces prélevées dans notre ferme expérimentale. L’une d’elle porte par exemple sur l’étude du champignon qui affecte le fruit de la pungara (Garcinia madroño), un des fruitiers qui fait partie de notre liste d’espèces à replanter. Le but est de trouver des moyens biologiques pour lutter contre ce champignon pathogène, notamment par l’inoculation de champignons bénéfiques.
 
Cette collaboration aurait pu se développer considérablement plus puisque nous avons gagné un appel à projet de 400 000 $ présenté en collaboration avec 3 professeurs de l’IKIAM pour engager un vaste programme de recherche sur 3 ans. Ce dernier consistait notamment à étudier et proposer des solutions de lutte biologique aux problèmes rencontrés dans les vergers. Malheureusement les institutions publiques qui devaient nous remettre cette enveloppe ont profité d’une période de flottement lors de la destitution du président de la République pour faire disparaitre cet argent comme par magie.

 

#2 La reforestation, cœur de métier de l’association.

Nos activités se sont beaucoup diversifiées en 2023 mais la reforestation reste notre cœur de métier et nos plus fidèles partenaires financiers souhaitent que ça le reste. Alors, tout comme les 2 dernières années, ce sont près de 70 000 arbres fruitiers, de bois d’œuvre et d’espèces médicinales qui ont été plantés sur les terres dégradées de nos agriculteurs partenaires.
Au total, ce sont 14 groupes de bénéficiaires (environ 170 personnes) qui ont pu être formés aux techniques de pépinière et à l’agroforesterie.
 
Après 19 ans de reforestation, Ishpingo a gagné la confiance de ses partenaires, aussi bien les populations locales que les financeurs puisque tous peuvent constater les résultats bénéfiques à long terme des projets engagés : des arbres, des fruits à consommer et à vendre, du bois comme épargne pour investir ou en cas de coup dur, de l’ombre pour résister aux longues journées de travail à la machette, de la médecine naturelle pour se soigner, des sols non érodés et riches en matière organique, des revenus diversifiés et étalés sur toute l’année, une amélioration des connaissances en agroforesterie…
 
Alors nous sommes sollicités pour planter toujours plus d’arbres.
Mais se consacrer uniquement à la reforestation va-t-il permettre de tout solutionner ? N’est-ce pas une nécessité aussi de former les jeunes générations ? De contribuer à la mise en place d’ateliers pratiques d’éducation environnementales dans le cursus scolaire ? Ne devons-nous pas aussi aider les populations locales à délimiter des aires protégées dont elles seraient les gardiens ? La création de sanctuaires communautaires n’est-elle pas le meilleur moyen d’arriver à protéger la biodiversité et surtout l’eau des rivières que l’orpaillage est en train de contaminer pour des décennies ? Si nous voulons que les plantations agroforestières produisent des fruits, ne serait-ce pas primordial de penser à leur pollinisation ? Pourquoi ne pas élever les abeilles mélipones natives en les domestiquant et installer des ruches dans les agro forêts ? Leur présence n’est-elle pas un gage suffisant pour démontrer que les cultures sont libres de produits chimiques ?
Bien plus en tout cas qu’une certification bio inabordable pour les petits paysans et facilement falsifiable pour les grands propriétaires.

 

Ayant été brutalement plongés dans un monde capitaliste et n’ayant essentiellement connu que des activités extractivistes comme l’exploitation du bois, du pétrole et de l’or, n’est-il pas juste d’orienter maintenant les populations kichwas vers des filières de commerce plus équitables, durables et raisonnées ? On pourrait citer par exemple la commercialisation des produits agroforestiers transformés et destinés aux industries alimentaires, cosmétiques, pharmaceutiques et de la parfumerie. Ou encore l’écotourisme regroupant l’agrotourisme ainsi que le tourisme scientifique et photographique dédié à l’herpétologie, l’ornithologie et l’entomologie.
 
Nous souhaitons répondre à tous ces défis et ne pas nous cantonner à juste planter des arbres. Nous faisons de la recherche, enrichissons nos connaissances et permettons le développement de solutions concrètes et complémentaires à la reforestation. Nous mettons en place des projets novateurs, qui, mis bout à bout, permettront l’émergence d’un modèle holistique et résilient à l’échelle d’une ferme, d’un village ou d’une communauté de communes, et qui pourra être reproduit ailleurs.

 

#3 L’éducation environnementale.

Lors du bilan 2022, nous vous parlions de notre programme d’éducation environnementale qui venait d’être mis en place. Il est issu de la réflexion sur les méthodes d’apprentissage chez les jeunes kichwas des campagnes, en contact permanent avec la nature mais aussi avec une réalité parfois très dure. Durant toute leur scolarité, ils en sont déconnectés et quand la grande majorité des jeunes bacheliers qui n’ont pas de quoi poursuivre d’études universitaires se retrouvent à s’installer à la ferme, ils n’ont pour modèle que celui de leurs parents. C’est un système figé alors que les réalités ont largement évolué notamment à cause de la diminution de la surface des fermes liée à l’explosion démographique.
 
Pour être préparés, ces jeunes actifs doivent connaitre les problématiques actuelles de réchauffement climatique, d’érosion des sols, des effets néfastes des produits chimiques et connaitre des voies alternatives à celles qu’ils ont vécues à travers la ferme familiale. Notre programme parle de tout cela et les élèves sont très attentifs. En grande partie également parce que ce sont des ateliers pratiques, des marches en forêt primaire, des visites de notre ferme expérimentale, des expérimentations qui leur permettent de comprendre certains concepts de façon très concrète. Le tout dans la joie et la bonne humeur.

 

En 2023, Andres MICHELETTO, notre service civique en charge de l’éducation environnementale, a très bien pris les choses en main. Soutenu par 2 gardes forestiers du ministère de l’environnement, nous sommes intervenus dans 6 écoles communautaires, auprès de 149 élèves, avec lesquels nous avons produit près de 3 000 arbres fruitiers dont une partie a servi à planter un verger dans chaque école. L’autre partie a été distribuée aux élèves qui les ont plantés dans leurs fermes familiales respectives, afin de leur permettre de s’initier à la reforestation dès le plus jeune âge.

 

#4 VALORISATION DES PRODUITS AGROFORESTIERS ET DE LA BIODIVERSITÉ.

4.1 – HUILES ESSENTIELLES
Beaucoup d’ONG travaillant dans la reforestation parlent de valorisation des produits agroforestiers mais en réalité très peu obtiennent des résultats à la hauteur de leurs espérances.
Difficile pour une ONG, habituée à mettre en place des projets subventionnés et non lucratif, de s’immiscer dans le monde du business et d’éviter tous les pièges et les dérives. Nous avions très bien débuté avec la création de la filière d’huile essentielle d’ishpink. Nous avons exportés pendant 4 ans près de 200 000 $ d’huiles dont près de 60% retombaient directement dans la poche d’environ 200 producteurs de feuilles.
Malheureusement nous n’avions qu’un seul client et il s’est désengagé en 2022, alors même que cet acheteur nous a constamment poussé à augmenter notre production pour subvenir à ses besoins.
Aujourd’hui près de 1 000 producteurs sont identifiés, une distillerie de 400m2 a été construite et équipée de 2 distillateurs alimentés électriquement, un camion a été acheté pour transporter les feuilles. Nous pouvons produire l’équivalent de 200 000 $ d’huile par an mais les débouchés sont devenus notre point faible.
Durant l’année 2023 nous avons essayés d’y remédier de 3 manières : fournir des arguments convaincants pour s’allier avec de nouveaux acheteurs, dénicher ces potentiels clients, diversifier notre gamme d’huile.
La législation européenne et américaine devenant de plus en plus contraignante pour l’industrie de la parfumerie et de la cosmétique, les potentiels clients nous demandent des certificats et documents en tout genre pour prouver la durabilité de notre projet.
En 2023, nous avons obtenu le registre sanitaire de notre huile et la FDS (Fiche de Donnée de Sécurité) qui permet de justifier qu’une huile ne possède pas de substance allergène ou cancérigène. Il faudra par la suite justifier des bonnes pratiques manufacturières de notre distillerie (hygiène, sécurité, contrôle qualité, non contamination), mais aussi de la juste rémunération des producteurs. Et obtenir la certification bio.
Pour parvenir à tout cela, nous avons commencé par la structuration des producteurs en une association. Elle n’est pas encore constituée légalement mais nous avons organisé de multiples réunions dans les différents secteurs où nous achetons les feuilles d’ishpink. Le projet a été présenté aux habitants des communautés avec, comme gage de notre motivation, la distribution de 15 arbres d’ishpink à 667 bénéficiaires afin que chacun puisse avoir d’ici quelques années un volume annuel de feuilles équivalent à environ 500$. Ce sont donc au total 10 000 arbres d’ishpink qui ont été produits dans notre grande pépinière, distribués et plantés. Cependant, cela fait beaucoup de bénéficiaires pour commencer à mettre sur pied une association de producteurs répartis sur un périmètre aussi large. Alors nous avons décidés de nous concentrer sur les épicentres de production et de commencer la légalisation avec 300 producteurs.

 

Concernant la recherche de débouchés pour notre huile essentielle d’ishpink, celle-ci s’est manifestée par la participation à 2 salons internationaux en 2023.
L’un concernant les ingrédients naturels aux États-Unis et l’autre, le SIMPPAR à Paris, principal salon de parfumerie.
Le SIMPPAR nous a permis de rencontrer les principales entreprises qui travaillent dans le sourcing d’ingrédients naturels destinés à la parfumerie, la cosmétique voire l’aromathérapie. D’une manière générale ils ont été très intéressés par notre huile, sa filière et toute l’histoire qu’il y a derrière notre produit. Mais la mise en place d’un partenariat commercial avec ces grandes entreprises est un travail de longue haleine. Alors nous sommes patients.
Enfin pour la diversification de notre gamme d’huiles, nous nous sommes équipés d’un petit alambic de 50 litres permettant d’effectuer des recherches pour identifier de nouvelles huiles rares. Nous avons distillé les feuilles et rameaux ou les copeaux de bois de 12 espèces que nous avons fait planter dans les systèmes agro forestier depuis maintenant 18 ans. L’objectif est de découvrir de nouvelles huiles rares potentiellement commercialisables mais dont la matière première est déjà existante en gros volumes dans les fermes.
La distillation par entrainement à vapeur d’eau de 2 espèces (canelo amarillo et balsamo) a permis d’obtenir de l’huile. Le balsamo en trop petite quantité pour envisager une commercialisation mais le canelo amarillo présente un rendement correct et une fragrance très agréable.
Découvrant le potentiel de cette huile, nous avons réalisé 3 distillations de feuilles de canelo amarillo avec le distillateur industriel. Nous avons ainsi pu obtenir des résultats pour faire une étude de coûts mais aussi pour obtenir 1kg de cette huile et envoyer des échantillons aux entreprises demandeuses. Cette huile a également été présentées sur les 2 salons susmentionnés pour la faire découvrir au monde de la parfumerie et les commentaires ont été très positifs. Reste maintenant à concrétiser…

 

4.2 – FRUITS
Côté fruits, nous continuons à consolider l’achat, la transformation et la vente des productions agroforestières de nos agriculteurs partenaires. Nous poursuivons le développement de points de vente au niveau national, mais le contexte économique reste difficile et continue à orienter les dépenses des consommateurs vers les produits de première nécessité. Nous avons fait l’acquisition d’une dépulpeuse ce qui fait gagner énormément de temps à Marcia, notre technicienne agro-alimentaire. Petit à petit la fabrique s’équipe et se professionnalise.

 

4.3 – MÉLIPONICULTURE
Le projet méliponiculture initié en 2022 se poursuit. Après avoir étudié les principales espèces d’abeilles natives de l’Amazonie connues par les populations kichwas, nous avons décidé de nous concentrer sur la Melipona eburnea pour la qualité de son miel, sa relative large distribution et son acceptation à être domestiquée. Non agressive elle est malheureusement fragile et d’autres insectes sont intéressés par son miel. Elle vit recluse dans les cavités naturelles des troncs.
Cette année nous avons achetés 12 essaims sauvages aux populations locales qu’elles ont prélevés dans des arbres coupés pour leur bois ou tombés naturellement. Le transport du billot de bois s’effectue de nuit pour parvenir à ramener la totalité des abeilles en dormance. L’essaim est ensuite mis dans une ruche adaptée à leurs spécificités notamment le fait qu’elles ne régulent pas leur température.
Les ruches colonisées sont mises à 5 mètres de distances les unes des autres dans un verger. L’observation de ces abeilles dans différentes fermes nous a permis d’établir une liste d’espèces de plantes dont les abeilles raffolent. Notre objectif étant l’obtention d’un maximum de ruches pour pouvoir les distribuer aux bénéficiaires antérieurs des projets de reforestation, nous faisons tout pour accélérer leur division. Alors nous les alimentons en leur donnant du miel, les protégeons des prédateurs, leur fabriquons leurs petits pots en cire où elles déposent le miel.
Et quand les princesses sont sur le point de naître, nous divisons l’essaim. Grâce a cette méthode que nous améliorons au fur et à mesure que nous acquérons de l’expérience, nous avons maintenant 25 ruches. La distribution des ruches aux populations va donc bientôt pouvoir commencer.

 

#5 RECHERCHE ET MESURE DE LA BIODIVERSITÉ.

Très lucratif, l’orpaillage illégal prend depuis quelques années une ampleur extrêmement préoccupante. Et notamment dans un territoire de 20 000 hectares correspondant à la zone d’amortissement du parc Llanganates et où les sols et rivières sont riches en or.
Des centaines d’hectares de forêts primaires ont déjà été détruits et de nombreux cours d’eaux sont pollués au mercure et au plomb. L’exploitation aurifère illégale, très agressive, se fait aux yeux de tous mais les orpailleurs sont protégés par les juges et politiciens corrompus.
Alors face à l’inaction des autorités équatoriennes, l’option qui nous semble la plus pertinente est de proposer aux populations locales de développer des activités économiques alternatives durables. Des projets productifs où l’on pourrait créer de la valeur marchande à partir de la biodiversité de ce parc national.

 

Le modèle serait le même à chaque fois. Découvrir des espèces rares et à fort intérêt économique, prélever quelques individus et les élever ou les cultiver en quantité pour les commercialiser. Toujours des petites structures à l’échelle d’un village ou d’un groupe de personnes. Chacune avec un produit différent. Élever des larves comestibles, exporter des chrysalides et autres papillons rares, produire du venin de serpent, d’araignée ou de scorpion, élever du gibier pour remplacer la chasse, des abeilles mélipones pour produire du miel, des micro-organismes bénéfiques permettant la production d’engrais bio, commercialiser des nouvelles espèces ornementales (orchidées, bromélia…), des arbres contenant des molécules médicinales, de nouvelles espèces de bois d’œuvres, comestibles, des fibres pour le textile.
 
Deux autres alternatives durables intéressent beaucoup les populations kichwas: la compensation carbone de leur territoire ancestral de 10 000 hectares et le tourisme naturaliste (ornithologie, herpétologie, mammologie, entomologie). Mais pour proposer des activités alternatives durables aux populations locales il faut renforcer nos connaissances sur les innombrables ressources que procure la forêt primaire (flore et faune).
Cela passe par le développement d’un programme de recherche approfondie sur du long terme. C’est ce que nous avons entrepris en 2023 notamment grâce à la venue de Paul WEULERSSE, d’abord en stage de fin d’étude, maintenant en service civique et on l’espère future recrue permanente d’Ishpingo.
Ce programme ambitieux vise à mesurer la biodiversité de ce territoire de 10 000 hectares en bordure du parc Llanganates et essentiellement recouvert de forêt primaire. Nous réalisons également des études dans d’autres secteurs de la région amazonienne, entre 300 et 1300m d’altitude. Au programme, de nombreuses expéditions accompagnées des gardes forestiers du parc et de naturalistes professionnels (ornithologues, herpétologues, entomologistes…).
 
Nous avons commencé par nous équiper en matériel d’expédition pour pouvoir explorer les endroits les plus reculés et ainsi recueillir des données de biodiversité. Nous partons donc régulièrement sur 1, 2, 3 ou 4 journées, munis d’outils de mesure et d’observation.
Des caméras de chasse installées sur les lieux de passages des mammifères nous ont permis de documenter la présence d’une faune diverse et encore abondante. Notamment de nombreux ours à lunettes mais aussi des jaguars et des Pumas. La cohabitation de ces trois super prédateurs d’Amazonie dans un espace aussi restreint est absolument unique et fait l’objet d’interrogations et d’investigations.
En outre, nos dispositifs ont révélé d’abondantes apparitions d’ocelots (Leopardus pardalis), de jaguarondi (Herpailurus yagouaroundi), deux espèces de pécari (Pecari tajacu & Tayassu pecari), des martres à tête grise (Eira barbara), plusieurs espèces de tatou, d’opossum, de fourmiliers, de coati, d’agoutis et autres rongeurs géants. La liste est déjà longue et ne fait que de s’étirer. En 1 an, nous avons enregistré plus de 70% des « gros » mammifères présents en Amazonie haute.

 

L’observation des oiseaux se fait quant à elle dès le lever du jour, soit à 6 heures du matin. Enfin sauf s’il pleut, auquel cas les oiseaux restent bien au sec dans leur nid. Les belles journées nous permettent d’observer de 50 à 100 espèces différentes sur les près de 1 000 potentiellement observables. On parle d’observation d’oiseaux, mais en réalité on devrait plutôt parler d’écoute. Les oiseaux sont petits, vifs et se confondent dans la forêt, alors on les écoute. Les ornithologues qui nous accompagnent ont des années d’expériences et sont capables de reconnaître les gazouillis de la majorité des espèces. Mais nous, pour apprendre et enregistrer nos mesures, nous utilisons un outil très pratique et relativement fiable. Une application appelée Merlin Bird ID, qui enregistre les sons, les compares avec sa base de données et identifie les espèces. Le croisement d’informations avec les ornithologues directement lors de l’observation de terrain nous permet de nous assurer que l’application ne s’est pas trompée. Car les chants de chaque espèce d’oiseau évoluent en fonction des secteurs. Comme si chaque région avait son patois.
 
L’activité nocturne est également très importante. Elle concerne particulièrement les reptiles et les amphibiens. C’est l’herpétologie. Muni d’une lampe frontale, elle commence à la tombée de la nuit et peut se poursuivre jusqu’à 3 ou 4h du matin si la motivation est là, si la nuit est obscure et si la faune se laisse observer. Car la quantité de serpents, grenouilles, araignées et autres lézards rencontrés en une nuit est très variable. Elle dépendra du climat car ces petits « bichos » comme nous les appelons, se promènent durant les saisons humides. Ils sont plus fréquemment présents en aval, proches des cours d’eau. Ils ont également des périodes de reproduction durant lesquelles ils partent en quête d’un partenaire et se rendent plus visibles et audibles. Et puis ces animaux ont un très fort taux de micro-endémisme. Par exemple il existe des espèces de grenouilles qui ne peuvent être observées nulle part ailleurs que sur un versant de vallée de quelques centaines de m2. Donc pour identifier les espèces encore inconnues qu’abritent la zone d’amortissement, et nous sommes persuadé qu’il y en a, il nous faut varier les secteurs et diversifier les biotopes d’inventaire.
Toutes ces observations sont localisées à l’aide d’un GPS et documentées: vidéos des caméras de chasse, enregistrements sonores des oiseaux, photographies d’animaux, d’empreintes, de nids, collecte de graines, fleurs, feuilles et insectes emprisonnés dans de la résine. Toutes les données collectées sont stockées dans une base de données et chaque observation est cartographiée.

 

C’est un programme de recherche ambitieux pour une petite ONG mais qui nous semble dorénavant indispensable car il doit permettre de proposer des solutions alternatives concrètes à la déforestation, l’agriculture intensive et l’extractivisme. Mais pour être la source de nos futurs projets, il devra se poursuivre sur de nombreuses années. Pour cela nous dépendrons de la générosité de nos partenaires financiers actuels et « ojala » de l’apparition de nouveaux mécènes à nos côtés.

 

Ishpingo sembrando el futuro.

 
 

et toute l’équipe Ishpingo.

 
 

Bilan 2023