Femme kichwa dans la forêt amazonienne

L’association Ishpingo travaille en collaboration avec les acteurs du monde agricole et en particulier avec l’ethnie amazonienne portant le nom de kichwa de l’Amazonie. Ce peuple indigène, majoritaire dans le canton de Tena, possède un savoir traditionnel vieux de plusieurs siècles. Aujourd’hui, les kichwas doivent composer avec la mondialisation. Cette intégration dans ce monde nouveau, s’est effectuée et s’effectue encore au prix de certains sacrifices. Le savoir traditionnel kichwa est en perte de vitesse et les jeunes kichwas sont de plus en plus attirés vers ce nouveau monde qui est aussi le leur.
Nous aborderons dans cet article les aspects essentiels de la culture kichwa et de la cosmovision indigène. Nous parlerons également des systèmes agricoles traditionnels de ce peuple, qui comprend l’agroforesterie et les techniques de rotation de cultures. Nous expliquerons ensuite quels ont été les impacts de la colonisation survenue dans la deuxième partie du 20e siècle sur les systèmes agricoles traditionnels mais aussi sur la transmission du savoir indigène.

 

#1 LES ASPECTS DE LA CULTURE KICHWA.

LE NOMADISME
Le nomadisme était une des composantes principales du mode de vie de la totalité des peuples autochtones de l’Amazonie. Chaque famille kichwa détenait 2 à 4 possessions de terres d’une surface totale de 10 km2 en moyenne.Un conseil de femmes dans une communauté kichwa Tout au long de l’année les familles changeaient de site pour s’approvisionner en produits cultivés, en fruits et en gibier. La pression sur les sols n’existait pas, nous pouvons parler d’une symbiose entre l’homme et la nature. Le nomadisme est un aspect de la cosmovision des différents peuples indiens: ils devaient chercher des lieux éloignés et trouver un site d’apprentissage afin de devenir « yachak » (savant) et comprendre les éléments naturels non visibles.
Nous ne pouvons plus parler de nomadisme chez les kichwas de l’Amazonie depuis l’arrivée des missionnaires. Ces derniers voulaient concentrer les populations indigènes autour des différents centres de vie : missions et petites villes. Les kichwas de l’Amazonie possédaient dorénavant deux types de terrain pour vivre :
> El quinquin llacta: zone peuplée relativement dense et proche d’une ville ou d’une mission. C’est là que se trouvaient la chacra (unité de production agricole vivrière), le marché, les événements rituels collectifs et les fêtes.
> Le sacha purina llacta: lieu situé à l’intérieur de la forêt pluviale où il était aisé de chasser, pêcher et cultiver des plantes.
Les familles changeaient régulièrement de site et l’abandon d’un lieu était fréquent lorsqu’il y avait un problème avec les voisins (situés à plusieurs dizaines de minutes à pied du lieu de vie), quand la terre ne produisait plus et quand les enfants se mariaient. Lorsque c’était le cas, un autre site était alors occupé, nous pouvons parler d’une « résidence mobile ».

 

L’AGRICULTURE
Avant la colonisation, l’agriculture suivait un schéma vivrier et le nomadisme était directement lié aux pratiques agricoles. L’unité de production agricole s’appelle la chacra et fournit tous les besoins alimentaires nécessaires au cours de l’année. Le travail de la ferme se fait en famille. De temps en temps une « minga » (travail communautaire) est organisée et dans ce cas, plusieurs familles travaillent ensemble. La chacra est encore présente aujourd’hui dans la majorité des fermes kichwas mais les produits qui y sont cultivés sont de plus en plus remplacés par des cultures de rentes.

 

L’ALIMENTATION
Comme nous l’avons cité précédemment, la base de l’alimentation est constituée de manioc et de différentes variétés de bananes. La chicha (boisson traditionnelle fermentée) est bue tout au long de la journée, donnant de la force pour les travaux agricoles. La femme se charge de la préparation de cette boisson. Autrefois, les protéines animales provenaient de la chasse et de la pêche. Aujourd’hui, avec l’apparition des routes, les kichwas achètent des conserves et de la viande en ville. De plus, il faut noter que le gibier devient rare dans certaines communautés où la forêt primaire n’existe plus.
L’arrivée des colons a amené de nouvelles pratiques alimentaires. Le riz est ainsi particulièrement apprécié par les communautés kichwas et constitue aujourd’hui un des produits de base de l’alimentation.

 

#2 LES IMPACTS DE LA COLONISATION SUR LES KICHWAS

La première partie de cette publication décrit certains aspects de la culture kichwa et présente quelques une des modifications liées à la colonisation. La deuxième partie rentrera plus dans le détail des changements de la culture kichwa et décrira ses conséquences.
 

DES SYSTÈMES DE PRODUCTION AGRICOLE REPENSÉS
 
A) Les impacts de la route sur les systèmes de production agricole
La colonisation est à l’origine de la construction des routes. Ces mêmes voies carrossables sont à l’origine de l’accélération de la sédentarisation des communautés kichwas. Les systèmes de production agricole mis en place ne sont pas réellement dépendants de la culture des peuples (colons /kichwas) et il est facilement observable que l’existence d’une route à proximité d’une communauté a plus d’influence sur ces systèmes.
La route apporte les services suivants:
> Accès au marché des produits de la ferme.
> Contact avec les ONG, institutions et autres porteurs de projets.
> Relations avec des techniciens, les formations deviennent possibles.
> Accès à l’éducation et aux différents produits de la ville (dont les intrants agricoles: fertilisants, pesticides, insecticides).
 
B) La sédentarisation et le problème des surfaces
La formation des communautés kichwas
Repas communautaire chez les kichwasLes villes de l’Amazonie étaient dans leur quasi majorité des missions dont le but principal était d’attirer les autochtones autour de ladite mission. Ces derniers appréciaient la proximité de la ville. Ils avaient en effet accès aux différents produits occidentaux.
Après un certain temps, les terres autour des villes, ont commencé à s’épuiser, forçant les kichwas à en chercher d’autres. Ils profitèrent de l’ouverture des routes pour accéder à de nouvelles terres et créer les premières communautés. Les premiers noyaux familiaux qui se sont alors installés ont facilité alors l’arrivée de nouvelles familles. Il est important de signaler que la construction d’une école était le facteur principal qui attirait de nouveaux arrivants au sein d’une communauté.
Le problème du manque de terres
La sédentarisation est à l’origine du manque de terres, le problème majeur des communautés kichwas aujourd’hui. La première génération qui s’est installée, a bénéficié de 50 ha (rectangle de 250m par 2000m) de propriété pour chaque propriétaire selon les lois instaurées alors par les autorités. Cette propriété a été subdivisée pour être partagée entre les enfants et, aujourd’hui, les agriculteurs ne possèdent plus que 2 à 5 ha de terrains pour cultiver. Le taux de natalité étant très élevé (plus de 6 enfants par femme) et les possibilités de s’éloigner de la communauté (étudier, trouver un travail autre que celui de la terre) étant très faibles, la pression sur les sols s’accroît sans cesse. Les cycles de régénération ne sont plus respectés et les terres s’épuisent sans jamais pouvoir atteindre leur niveau de fertilité initial.
Face à ce problème, l’agroforesterie paraît être une solution. En effet, elle permet, en utilisant de manière plus efficace les horizons verticaux et horizontaux, d’obtenir un rendement économique, par unité de surface, plus élevé.
 
DE NOUVEAUX PROBLÈMES SOCIAUX
Les familles kichwas ont inclus l’éducation dans leur culture. Elles ont réalisé que seule l’éducation permettrait a leurs enfants d’intégrer le nouveau monde qui les entoure. C’est aussi pour cela qu’elles lui donnent tant d’importance. Nous rappelons par ailleurs que la présence d’une école dans une communauté qui venait d’être créée attirait de nouveaux arrivants plus facilement.
Aujourd’hui, l’éducation pose deux problèmes majeurs:
Les jeunes kichwas, à la fin du cycle d’étude primaire, ont des difficultés à trouver les moyens financiers pour poursuivre les études. Certains jeunes kichwas, titulaire du « bachillerato » (équivalent du baccalauréat en France) sont contraints de rester au sein de la communauté car l’université coûte trop cher.
L’apparition de tensions entre les jeunes et les anciens est fréquente aujourd’hui.Jeune kichwas en tenue traditionnelle Anciennement, les shamans et les pères de famille possédaient le pouvoir de décision. Aujourd’hui, l’éducation donne aux jeunes le droit à la parole et nous pouvons même observer une transmission de ce pouvoir vers les membres de la jeune génération. La conséquence de cette passation de pouvoir est simple : les coutumes et les traditions kichwas sont en perte de vitesse.
Comme nous l’avons vu auparavant, dans la tradition nomade, quand il manquait des terres et lorsqu’il existait des tensions avec une autre famille, il était possible de s’installer sur un autre site. Aujourd’hui, cela est impossible avec l’établissement des communautés et le concept de propriété privée. Les indigènes n’ont jamais été confrontés à la vie en société dans des communautés établies de manière durable et réunissant plusieurs familles. Il leur est donc difficile de prendre des décisions de manière commune et de nombreuses tensions existent au sein des communautés.

 

#3 CONTRIBUER AU DÉVELOPPEMENT DES COMMUNAUTÉS KICHWA

Selon Carlos VITERI, indien kichwa de l’Amazonie de la province de Pastaza, ethnologue et membre de l’OPIP (Organisation des Peuples Indigènes de Pastaza), « la qualité de vie et les aspirations indigènes se résument dans le droit d’administrer son propre territoire et de gérer ses ressources dans le but d’un développement économique lié aux valeurs indigènes ».
L’association Ishpingo veut contribuer au développement des communautés kichwas en intégrant le savoir traditionnel, en appuyant les jeunes au niveau éducatif et en répondant au maximum aux attentes des kichwas de l’Amazonie et en les intégrant dans les projets de développement.
 

 

Les kichwas d’Amazonie
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