Reboiser en plantant des arbres fruitiers

L’Amazonie équatorienne est une région où l’exploitation des fruitiers est très peu développée. Pourtant, replanter des arbres fruitiers permettant la production, la transformation, la commercialisation et la consommation de fruits est à la fois une alternative pour un développement durable, mais également un moyen de lutter contre la déforestation. Ishpingo l’a bien compris et intègre les arbres fruitiers dans la plupart de ses projets agroforestiers.

 

#1 Pourquoi replanter des arbres fruitiers ?

Les sols riches et le climat légèrement plus frais que dans le reste de l’Amazonie, font du canton Tena un endroit propice à la culture d’espèces fruitières tropicales comme l’illustre la culture du cacao, considéré comme l’un des meilleurs au monde.
Les fruits peuvent servir à l’auto-consommation familiale ainsi qu’à la vente au niveau local, national et international.
La situation géographique de Tena est intéressante pour la vente des fruits et des différents produits transformés tant au niveau national, avec les nouvelles routes reliant l’Amazonie aux nombreuses villes de la Sierra (cordillère des Andes), qu’au niveau international avec la construction récente de l’aéroport de Tena.
Jeunes pousses d'arbres fruitiersLes fruits ont un intérêt nutritionnel très important dans une région où le régime alimentaire est basé sur le manioc et la banane plantain. Une grande variété de fruits récoltés tout au long de l’année améliorerait nettement le développement physique et mental des enfants qui, de plus, en raffolent.
Les fruits tropicaux qui se vendent au niveau local proviennent de la région côtière. La vente en circuits courts limiterait énormément les coûts de transport et les intermédiaires. Cela assurerait ainsi une meilleure marge à la vente pour les agriculteurs.
La culture de 25 types d’arbres fruitiers permet de maintenir une certaine biodiversité, réduit les problèmes de propagation de maladies bactériennes, de champignons présents dans les monocultures, évitant ainsi l’utilisation de produits chimiques.
Pour les agriculteurs, cultiver un grand nombre d’espèces différentes diminue les conséquences d’une chute du cours mondial tel que l’effondrement du prix du café dans les années 90. Cela pourrait se reproduire dans les prochaines années pour la principale culture de rente actuelle qu’est le cacao.
Les travaux de cultures, la taille et la récolte, sont étalés sur toute l’année évitant les périodes d’inactivité et le surplus de travail ponctuel.
Certains arbres fruitiers entrent en production seulement 2 ans après la plantation.
Beaucoup de fruits poussant dans les mêmes conditions climatiques sont commercialisés dans d’autres pays mais n’existent pas en Équateur. L’introduction de ces espèces exotiques, couplées à des espèces locales peu exploitées, l’amélioration des techniques de cultures telles que la greffe des plants, la sélection de meilleures variétés ou la taille, rendraient leur culture largement rentable.
Il existe beaucoup de produits dérivés des fruits : les jus, pulpes, glaces, confitures, huiles essentielles, extraits floraux, fruits secs entre autres. Les produits dérivés permettent une valorisation économique des fruits et une diminution des coûts liés au transport et au stockage.

 

#2 Quelles espèces cultiver ?

Replanter des arbres fruitiers nécessite évidemment la création d’une banque de graine conséquente. Une partie des graines est récoltée dans les quelques fermes des régions amazoniennes et côtières, dans lesquelles des projets de cultures d’arbres fruitiers sont en cours. Les graines des espèces de la province de Tena sont achetées sur le marché local. Nous travaillons également en collaboration avec l’INIAP (Instituto Nacional de Investigacion AgroPecuaria) qui est le centre de recherche agronomique équatorien.Sélection des fruits Il nous vend des graines de variétés de fruits sélectionnées pour leurs qualités gustatives particulièrement intéressantes et leur forte capacité de production. Le reste est acheté à un américain, Jim WEST, qui possède une ferme dans la région côtière depuis 25 ans et qui a importé des espèces fruitières du monde entier. Les fruits exotiques sont adaptés à des climats similaires à la région de Tena et peu de problèmes phytosanitaires ont été détectés.
Nous avons à disposition aujourd’hui plusieurs centaines d’espèces. De nombreuses visites nous ont permis de déguster les fruits entiers ainsi que préparés sous différentes formes. Nous avons aussi pu observer l’architecture des arbres et arbustes, leurs conditions de croissance optimales en fonction du sol, du pourcentage d’ensoleillement afin de leur trouver une place dans nos différents systèmes agroforestiers.
Etant donné que plus de la moitié des espèces sont méconnues dans la région, des échantillons de fruits sont rapportés lors de chaque visite des différentes fermes afin de les faire goûter aux agriculteurs pour qu’ils sachent ce qu’ils plantent. Cela nous permet également de tester les qualités gustatives des fruits sur une assez large population. Après une année de recherche environ 25 espèces ont été sélectionnées.
 
Les différentes espèces:
Les fruits les plus appréciés du bassin amazonien : sapote, guanábana, chirimoya, chicle muyu, mulchi, araza, guayabilla, copoazu, manzana de agua, almendro, borojo, jaboticaba, madroño.
Fruits d’Asie et d’Afrique : salak, mangostan, ramboutan, jackfruit, menteng, rambai.
Fruits de la région côtière équatorienne : mango ciruelo, coco.
Agrumes : oranges, mandarines, citron, pamplemousse. Á noter que les agrumes sont tous greffés.
Le nombre de plantes cultivées pour chaque espèce dépend de l’intérêt économique, des qualités gustatives et nutritives, de la propagation, de l’adaptation et de la culture de chaque espèce dans la région. Mais même si nous les orientons et faisons valoir l’intérêt de chaque espèce et l’importance de la biodiversité, le principal décideur reste l’agriculteur qui va planter dans son terrain. La majorité se rallie à notre proposition qui est de replanter des arbres fruitiers d’abord pour l’autoconsommation puis, avec le temps, de sélectionner les espèces commercialisables. Tous les agriculteurs sont très intéressés par les agrumes greffés.

 

#3 Collecte des graines et culture en pépinière

Les graines de fruits récoltées sont semées dans les différentes pépinières. Le nombre de graines semées est calculé selon la quantité de plantes demandées par les agriculteurs participant à la pépinière communautaire, le pourcentage de germination et le pourcentage de mortalité en pépinière.Ramassage de graines d'arbres fruitiers en forêt Pour certaines espèces produisant une grande quantité de graines et dont les fruits n’ont pas été récoltés, il est facile de collecter directement les plantules au pied de l’arbre mère. Cela permet de gagner le temps nécessaire pour qu’une graine arrive au statut de plantule. Le transport se fait dans du papier journal humidifié et les plantules doivent être repiquées au plus tard le lendemain suivant la collecte. Les fruitiers sont cultivés dans la même pépinière que les espèces de bois d’œuvre. Nous prenons soins de replanter les arbres fruitiers dans la partie la plus au soleil car ces espèces sont plus héliophiles que les espèces de bois d’œuvre. Quand les plantes atteignent entre 50 et 80 cm elles sont distribuées aux agriculteurs. Le laps de temps entre la récolte des graines et l’obtention de plantes prètes pour la plantation définitive est d’environ un an.

[ Tableau de résultats non disponible sur mobile ]

Liste des espèces fruitières cultivées
Nom commun Nom scientifique % de plantes Plantes obtenues Germ % % de survie Germination (en jours) Graines collectées
Araza Eugenia stipitata 2 180 80 plantules 225
Borojo Borojoa patinoi 4 360 70 80 70 645
Camu camu Myrciaria dubia 2 180 70 80 45 320
Chicle muyu Lacmella sp. 2 180 50 80 25 450
Chirimoya Rollinia mucosa 4 360 70 50 65 1030
Coco Cocos nucifera 2 180 90 90 70 225
Cupuasu Theobroma grandiflorum 3 270 30 70 10 1290
Durian Durio zibethinus 2 180 50 50 20 720
Guanabana Annona muricata 4 360 70 70 65 735
Guayabilla Eugenia victoriana 2 180 70 80 90 320
Jaboticaba Myrciaria cauliflora 6 540 80 plantules 675
Jackfruit Artocarpus heterophyllus 2 180 90 90 15 225
Citron greffe Citrus sp. 3 270 70 80 20 480
Pamplemousse greffe Citrus sp. 5 450 70 80 20 805
Madrono Garcinia magnifolio 3 270 70 90 65 430
Mandarine greffe Citrus reticulata 8 720 70 80 20 1290
Mangostan Garcinia mangostana 4 360 50 80 80 900
Manzana de agua Syzygium aqueum 3 270 70 80 30 115
Menteng Baccaurea dulcis 4 360 70 60 25 860
Mulchi Eugenia subterminalis 3 270 80 80 35 425
Orange greffe Citrus sp. 8 720 70 80 20 1290
Achiotillo Nephelium lappaceum 8 720 80 80 15 1125
Salak Salacca edulis 8 720 60 50 30 2400
Uvaia Eugenia uvalha 2 180 80 plantules 225
Sapote greffe Matisia cordata 6 540 0.5 0.9 25 1200

 

#4 La greffe des fruitiers

L’une des techniques les plus utilisées dans la culture des fruitiers est la greffe. Elle n’est pas possible pour toutes les espèces. Nous l’utilisons pour tous les agrumes (orange, mandarine, pamplemousse, citron) et pour le sapote. Le procédé étant relativement compliqué nous avons suivi une formation avec l’un des techniciens de la municipalité de Shushufindi.
Il existe différentes méthodes de greffe selon les espèces. Pour les citriques et le sapote une seule méthode est utilisée, la greffe terminale. La greffe fonctionne dans environ 90% des cas. Une personne bien entraînée peut greffer 200 plantes par jour.
 
Jeune arbres fruitiers greffésLes avantages de la greffe:
La greffe des agrumes permet d’obtenir des plantes d’une excellente qualité. La partie inférieure de l’arbre, correspondant au porte greffe, donnera des racines vigoureuses. Le porte greffe, lui, est issu d’une espèce de citron locale particulièrement adaptée à la région, très résistante à la fois aux parasites et autres champignons. La partie supérieure de l’arbre, issue du greffon, sera une copie conforme de l’arbre en provenance duquel il a été prélevé. Il possédera strictement les mêmes propriétés, un arbre résistant aux maladies, de petite taille pour assurer une récolte facile, présentant une bonne capacité de production et de gros fruits savoureux.
La production de fruits des agrumes greffés commence 4 ans après la plantation car les greffons possèdent les propriétés cellulaires des arbres adultes.
Pour le sapote le temps d’attente avant la première récolte passe de 10 ans à 4 ans. Les arbres mesurent 6 mètres au lieu de 20 mètres. Ces 2 critères rendent possible sa culture auparavant difficile.

 

#5 Comment replanter les arbres fruitiers

Une fois les plantes distribuées l’agriculteur est libre de replanter les arbres fruitiers comme il le souhaite. Lors de la distribution des plantes, nous présentons les différents modèles agroforestiers. Selon la situation de l’agriculteur et de sa ferme, le modèle qui lui conviendra le mieux sera appliqué. Dans tous les cas, nous conseillons fortement l’alternance des différentes espèces de fruitiers pour éviter les maladies et optimiser l’espace. Des arbres et des arbustes se feront moins de compétition tant au niveau de la canopée qu’au niveau racinaire que 2 arbres de la même espèce.
 
Les différents modèles proposés:
Plantation aléatoire dans une ferme déjà entièrement reboisée.Plantation de fruitiers de type manzana de agua Certains agriculteurs ont des petites fermes (inferieure à 5 hectares) et ne possèdent plus d’espace pour semer. Ils choisiront de planter là où il reste de l’espace.
Plantation dans des parcelles anciennes de cacao en remplacement des cacaoyers morts. Des arbres fruitiers sont plantés en alternance avec les cacaos, là où il reste de l’espace.
Dans la majorité des cas, l’agriculteur possède des terres en jachère. Il utilisera ces terres pour planter les arbres fruitiers en association avec des espèces à cycle court. Cela lui permettra d’avoir des revenus rapidement grâce aux cultures associées et l’obligera à maintenir la parcelle sans mauvaise herbe.
 
Les différents modèles de plantation dans une jachère sont:
Plantation sans association dans une jachère. S’il a une activité professionnelle autre que celle d’agriculteur il n’aura pas le temps de reboiser avec une association d’espèces de cycle court. Le nettoyage complet de la parcelle pour le reboisement n’est pas recommandé car si il n’y pas une couverture végétale fournissant de l’ombre la première année, une partie des jeunes arbres mourront. Lors du désherbage, l’agriculteur conservera une couverture végétale arborée qui procurera un mi-ombrage.
Plantation en association avec le manioc. Un mois avant la plantation des fruitiers, il désherbera la parcelle et plantera du manioc. Dès que la couverture végétale sera suffisante, il plantera les jeunes arbres. Cette méthode est celle qui a les meilleurs résultats de survie et de croissance car la culture du manioc oblige l’agriculteur à maintenir le terrain sans aucune mauvaise herbe. De plus l’ombre fournie est optimale et les feuilles de manioc fournissent de l’engrais naturel. Le manioc sera récolté au bout de 9 mois. L’agriculteur pourra replanter du manioc une seconde fois.
Plantation en association avec de la banane plantain. Cette association demande une anticipation de 3 mois car la croissance de la banane plantain est plus lente. Les bananiers sont plantés tous les 2 mètres. Quand les bananiers sont suffisamment grands les fruitiers sont plantés à au moins 1 mètre des bananiers. Au bout d’un an, le régime de banane est récolté et la plante meurt. Cette technique évite d’avoir à replanter car au pied du bananier mère sortent de nouveaux bananiers.
Plantation en association avec le maïs semé au bâton (contrairement à la méthode traditionnelle de plantation du maïs à la volée). Un trou est réalisé tous les 60 cm à l’aide d’un bâton et 2 graines y sont jetées. Apres un mois, le maïs est suffisamment haut pour que les arbres fruitiers soient plantés. Le maïs étant récolté après 6 mois, il est nécessaire de planter du manioc ou de la banane plantain par la suite.
Plantation en ligne en alternance avec des cacaos greffés. La culture du cacao est très présente dans la région. Des plantes de cacaos greffés sont offertes par les autorités et différentes associations de la région. Les agriculteurs cultivent le cacao en monoculture. Une autre possibilité est donc la plantation des fruitiers en alternance avec les cacaos: une ligne de cacao, une ligne de fruitiers. Cela permet de diminuer la concentration en cacao, cause de nombreuses maladies qui conduisent à l’utilisation de produits de chimiques dans une région ou l’agriculture est encore essentiellement organique. De plus, certains fruitiers sont des arbres qui vont procurer une légère ombre au cacao et vont apporter de la matière organique par la chute des feuilles et grâce à leurs racines profondes qui remontent les nutriments.
Plantation dans un pâturage. Si l’agriculteur veut reconvertir ses terres d’élevage en terres agricoles, il peut envisager d’y pratiquer la plantation de fruitiers. C’est le modèle le plus difficile car les plantes seront en plein soleil et la compétition avec les herbes de pâturage telles le Dalis est très rude durant les 2 premières années. Une bouture fournissant un ombrage est fortement recommandée.

 

#6 Formation des populations

La formation des agriculteurs commence par la présentation de ces fruits afin de leur faire découvrir les propriétés gustatives des espèces méconnues dans la région. Nous leur enseignons également les différentes préparations possibles. Un livre de recettes sera prochainement réalisé. Formation des populations à la plantation d'arbres fruitiersElle se poursuit lors des travaux collectifs dans la pépinière ainsi que lors de la reforestation pour les agriculteurs qui sollicitent notre aide à la plantation. Nous réalisons également des ateliers de formation technique pour la greffe et l’entretien des arbres plantés (taille des arbres).
Lors de la distribution des plantes, un guide pratique est donné à chaque agriculteur. Il contient toutes les informations nécessaires à la bonne culture de chaque espèce. La hauteur de l’arbre, le nombre d’années d’attente avant la première production de fruits et la distance de plantation. Il présente également les méthodes pour la plantation de fruitiers selon différents modèles agroforestiers, les précautions à prendre lors du transport, de la plantation et du suivi (voir le guide pratique « Guia practica para el cultivo de frutales »).