L’Amazonie équatorienne est une région où l’exploitation des fruitiers est très peu développée. Pourtant, replanter des arbres fruitiers permettant la production, la transformation, la commercialisation et la consommation de fruits est à la fois une alternative pour un développement durable, mais également un moyen de lutter contre la déforestation. Ishpingo l’a bien compris et intègre les arbres fruitiers dans la plupart de ses projets agroforestiers.

 

#1 Pourquoi replanter des arbres fruitiers ?

  • Les sols riches et le climat légèrement plus frais que dans le reste de l’Amazonie, font du canton Tena un endroit propice à la culture d’espèces fruitières tropicales comme l’illustre la culture du cacao, considéré comme l’un des meilleurs au monde.
  • Les fruits peuvent servir à l’auto-consommation familiale ainsi qu’à la vente au niveau local, national et international.
  • La situation géographique de Tena est devenue intéressante pour la vente des fruits et des différents produits transformés grâce au développement récent du réseau routier reliant l’Amazonie aux nombreuses villes de la Sierra (cordillère des Andes).
  • La situation géographique de Tena est intéressante pour la vente des fruits et des différents produits transformés tant au niveau national, avec les nouvelles routes reliant l’Amazonie aux nombreuses villes de la Sierra (cordillère des Andes), qu’au niveau international avec la construction récente de l’aéroport de Tena.
  • Jeunes pousses d'arbres fruitiers

  • Les fruits ont un intérêt nutritionnel très important dans une région où le régime alimentaire est basé sur le manioc et la banane plantain. Une grande variété de fruits récoltés tout au long de l’année améliorerait nettement le développement physique et mental des enfants qui, de plus, en raffolent.
  • Les fruits tropicaux qui se vendent au niveau local proviennent de la région côtière. La vente en circuits courts limiterait énormément les coûts de transport et les intermédiaires. Cela assurerait ainsi une meilleure marge à la vente pour les agriculteurs.
  • La culture de plus de 30 types d’arbres fruitiers permet de maintenir une certaine biodiversité, réduit les problèmes de propagation de maladies bactériennes, de champignons présents dans les monocultures, évitant ainsi l’utilisation de produits chimiques.
  • Pour les agriculteurs, cultiver un grand nombre d’espèces différentes diminue les conséquences d’une chute du cours mondial tel que l’effondrement du prix du café dans les années 90. Cela pourrait se reproduire dans les prochaines années pour la principale culture de rente actuelle qu’est le cacao.
  • Les travaux de cultures, la taille et la récolte, sont étalés sur toute l’année évitant les périodes d’inactivité et le surplus de travail ponctuel.
  • Certains arbres fruitiers entrent en production seulement 2 ans après la plantation.
  • Beaucoup de fruits poussant dans les mêmes conditions climatiques sont commercialisés dans d’autres pays mais n’existent pas en Équateur. L’introduction de ces espèces exotiques, couplées à des espèces locales peu exploitées, l’amélioration des techniques de cultures telles que la greffe des plants, la sélection de meilleures variétés ou la taille, rendraient leur culture largement rentable.
  • Il existe beaucoup de produits dérivés des fruits : les jus, pulpes, glaces, confitures, huiles essentielles, extraits floraux, fruits secs entre autres. Les produits dérivés permettent une valorisation économique des fruits et une diminution des coûts liés au transport et au stockage.

#2 Quelles espèces cultiver ?

La liste des espèces fruitières que nous cultivons est composée de fruits typiques de la région amazonienne ainsi que d’espèces exotiques adaptées aux conditions locales.
Aux prémices du projet, une large étude visant à déterminer les espèces pertinentes a été menée auprès de différents acteurs. Notamment auprès du centre de recherche agronomique équatorien (INIAP), qui au début nous vendait des graines de variétés de fruits sélectionnées pour leurs qualités gustatives particulièrement intéressantes et leur forte capacité de production. Mais surtout auprès de Jim WEST, un Américain qui possède une ferme dans la région côtière depuis plus de 40 ans et qui a importé la majorité des espèces fruitières du monde entier. Les fruits exotiques étant adaptés à des climats similaires à la région de Tena, peu de problèmes phytosanitaires ont été détectés. De nombreuses visites chez Jim West nous ont permis de déguster les fruits entiers ou transformés. Nous avons aussi pu observer dans sa ferme, l’architecture des arbres et arbustes fruitiers, leurs conditions de croissance optimales en fonction du sol, du pourcentage d’ensoleillement afin de leur trouver une place dans nos différents systèmes agroforestiers.
Au fur et à mesure des années nous avons plantés ces espèces dans notre ferme pédagogique qui constitue désormais une véritable banque de graines.Sélection des fruits Nous avons à disposition aujourd’hui dans notre agro forêt près de 100 espèces fruitières pérennes. Les espèces ou certaines variétés intéressantes que nous ne produisons pas dans notre ferme sont achetées sur les marchés locaux ou auprès de nos agriculteurs partenaires, ce qui permet de générer un revenu complémentaire et inciter les propriétaires des arbres à les conserver voir même à les reproduire.
Étant donné qu’environ la moitié des espèces sont exotiques donc méconnues dans la région, des échantillons de fruits bruts ou des produits transformés (confitures, jus…) sont rapportés lors des travaux collectifs de pépinière afin de les faire goûter aux agriculteurs pour qu’ils connaissent tous les fruits qu’ils vont planter. Cela nous permet également de tester les qualités gustatives des fruits sur une assez large population.
La liste des espèces fruitières distribuées aux bénéficiaires des projets de reforestation comprend une trentaine d’espèces. Elle évolue chaque année en fonction des disponibilités en graines, de l’élimination d’espèces à la suite de difficultés rencontrées ou de l’ajout de nouvelle espèces récemment identifiées.
 
Les différentes espèces :

  • Les fruits les plus appréciés du bassin amazonien : sapote, guanábana, chirimoya, chicle muyu, mulchi, araza, guayabilla, copoazu, manzana de agua, almendro, borojo, jaboticaba, madroño.
  • Fruits d’Asie et d’Afrique : salak, mangostan, ramboutan, jackfruit, menteng, rambai.
  • Fruits de la région côtière équatorienne : mango ciruelo, coco.
  • Agrumes : oranges, mandarines, citron, pamplemousse. Á noter que les agrumes sont tous greffés.

Le nombre de plantes cultivées pour chaque espèce dépend de l’intérêt économique, des qualités gustatives et nutritives, de la propagation, de l’adaptation et de la culture de chaque espèce dans la région. Mais même si nous les orientons et faisons valoir l’intérêt de chaque espèce et l’importance de la biodiversité, le principal décideur reste l’agriculteur qui va planter dans son terrain. La majorité se rallie à notre proposition qui est de replanter des arbres fruitiers d’abord pour l’autoconsommation puis, avec le temps, de sélectionner les espèces commercialisables. Tous les agriculteurs sont très intéressés par les agrumes greffés.

 

#3 Collecte des graines et culture en pépinière

Les graines de fruits récoltées sont semées dans des platebandes de germination. Ces platebandes, construites sur le terrain d’Ishpingo, sont ombragées à 50%. Elles contiennent une terre d’excellente qualité qui optimisera la germination des graines en évitant leur pourriture et en leur proportionnant tous les nutriments nécessaires à la bonne croissance de la jeune plantule. Le nombre de graines semées est calculé en fonction de la quantité de plantes demandées par les agriculteurs participant au projet de reforestation de l’année en cours ainsi que du pourcentage de germination et de mortalité de chaque espèce lors de son développement en pépinière.Ramassage de graines d'arbres fruitiers en forêt Ces taux de germination et de mortalité ont été calculés précisément par nos soins grâce à un rigoureux suivi réalisé entre 2021 et 2023. Ils sont très importants à prendre en compte car ils varient énormément d’une espèce à une autre. Par exemple la graine de goyave à moins de 10% de germination alors que la mangue à un taux de germination supérieur à 100% grâce au fait que sa graine possède plusieurs embryons et produira ainsi jusqu’à une dizaine de plantules.
Pour certaines espèces produisant une grande quantité de graines et dont les fruits n’ont pas été récoltés, il est facile de collecter directement les plantules au pied de l’arbre mère. Cela permet de gagner le temps nécessaire pour qu’une graine arrive au statut de plantule. Le transport se fait dans du papier journal humidifié et les plantules doivent être repiquées au plus tard le lendemain suivant la collecte. Les fruitiers sont cultivés dans la même pépinière que les espèces de bois d’œuvre. Nous prenons soins de replanter les arbres fruitiers dans la partie la plus au soleil car ces espèces sont plus héliophiles que les espèces de bois d’œuvre. Quand les plantes atteignent entre 50 et 80 cm elles sont distribuées aux agriculteurs. Le laps de temps entre la récolte des graines et l’obtention de plantes prètes pour la plantation définitive est de 7 à 18 mois.

[ Tableau de résultats non disponible sur mobile ]

Liste des espèces fruitières cultivées
Nom commun Nom scientifique Représentation % Germ % % de survie Nb de jours avant germ. Hauteur de l’arbre (m) Intervalle (m)
Acai Euterpe oleacera 4 80 90 50 12 3
Achanso Caryodendron orinocence 4 100 95 21 8 5
Achiotillo Nephelium lappaceum 15 95 90 21 8 5
Araza Eugenia stipitata 7 70 90 110 4 3
Borojo Borojoa patinoi 4 70 90 55 4 3
Cacao Theobroma cacao / 95 / 10 3 3
Chicle muyu Lacmella sp. 4 35 95 56 4 3
Chirimoya Rollinia mucosa 4 50 70 40 6 4
Coco Cocos nucifera 2 100 100 40 12 3
Citron galet Citrus aurantifolia 8 greffe / / 5 4
Guanabana Annona muricata 4 40 90 18 5 3
Guayaba Psidium guajava 3 10 85 20 4 3
Guayabilla Eugenia victoriana 7 65 90 56 4 3
Huituk Genipa americana 4 80 80 35 8 5
Ishpingo Ocotea quixos 5 50 90 200 7 5
Jackfruit Artocarpus heterophyllus 3 55 80 21 9 5
Mandarine Citrus reticulata 8 greffe / / 5 4
Mango Mangifera indica 3 130 95 28 7 4,5
Mangostan Garcinia mangostana 3 25 95 30 5 4
Manzana agua Syzygium aqueum 4 250 90 30 8 5
Menteng Baccaurea dulcis 3 80 80 40 5 4
Mulchi Eugenia subterminalis 3 80 80 65 5 4
Orange Citrus sinensis 8 greffe / / 5 4
Paso Gustavia macarenensis 4 75 80 35 7 4,5
Patas muyu Theobroma bicolor 4 80 90 28 8 5
Pungara Garcinia madruno 4 85 90 140 4 3,5
Salak marron Salacca edulis 4 80 90 35 4 3
Salak rouge Salacca affinis 4 90 90 35 4 3
Sapote Matisia cordata 5 70 20 90 7 4,5

 

#4 Comment replanter les arbres fruitiers

Lors de la distribution des plantes, nous présentons les différents modèles agroforestiers. Mais une fois les plantes distribuées l’agriculteur est libre de replanter les arbres fruitiers comme il le souhaite. Selon la situation de l’agriculteur et de sa ferme, le modèle qui lui conviendra le mieux sera appliqué. Dans tous les cas, nous conseillons fortement l’alternance des différentes espèces de fruitiers pour éviter les maladies et optimiser l’espace. Des arbres et des arbustes se feront moins de compétition tant au niveau de la canopée qu’au niveau racinaire que 2 arbres de la même espèce.
 
Les différents modèles proposés:
Plantation aléatoire dans une ferme déjà entièrement reboisée.Plantation de fruitiers de type manzana de agua Certains agriculteurs ont des petites fermes (inferieure à 5 hectares) et ne possèdent plus d’espace pour semer. Ils choisiront de planter là où il reste de l’espace.
Plantation dans des parcelles anciennes de cacao en remplacement des cacaoyers morts. Des arbres fruitiers sont plantés en alternance avec les cacaos, là où il reste de l’espace.
Dans la majorité des cas, l’agriculteur possède des terres en jachère. Il utilisera ces terres pour planter les arbres fruitiers en association avec des espèces à cycle court. Cela lui permettra d’avoir des revenus rapidement grâce aux cultures associées et l’obligera à maintenir la parcelle sans mauvaise herbe.
 
Les différents modèles de plantation dans une jachère sont:
Plantation sans association dans une jachère. S’il a une activité professionnelle autre que celle d’agriculteur il n’aura pas le temps de reboiser avec une association d’espèces de cycle court. Le nettoyage complet de la parcelle pour le reboisement n’est pas recommandé car si il n’y pas une couverture végétale fournissant de l’ombre la première année, une partie des jeunes arbres mourront. Lors du désherbage, l’agriculteur conservera une couverture végétale arborée qui procurera un mi-ombrage.
Plantation en association avec le manioc. Un mois avant la plantation des fruitiers, il désherbera la parcelle et plantera du manioc. Dès que la couverture végétale sera suffisante, il plantera les jeunes arbres. Cette méthode est celle qui a les meilleurs résultats de survie et de croissance car la culture du manioc oblige l’agriculteur à maintenir le terrain sans aucune mauvaise herbe. De plus l’ombre fournie est optimale et les feuilles de manioc fournissent de l’engrais naturel. Le manioc sera récolté au bout de 9 mois. L’agriculteur pourra replanter du manioc une seconde fois.
Plantation en association avec de la banane plantain. Cette association demande une anticipation de 3 mois car la croissance de la banane plantain est plus lente. Les bananiers sont plantés tous les 2 mètres. Quand les bananiers sont suffisamment grands les fruitiers sont plantés à au moins 1 mètre des bananiers. Au bout d’un an, le régime de banane est récolté et la plante meurt. Cette technique évite d’avoir à replanter car au pied du bananier mère sortent de nouveaux bananiers.
Plantation en association avec le maïs semé au bâton (contrairement à la méthode traditionnelle de plantation du maïs à la volée). Un trou est réalisé tous les 60 cm à l’aide d’un bâton et 2 graines y sont jetées. Apres un mois, le maïs est suffisamment haut pour que les arbres fruitiers soient plantés. Le maïs étant récolté après 6 mois, il est nécessaire de planter du manioc ou de la banane plantain par la suite.
Plantation en ligne en alternance avec des cacaos greffés. La culture du cacao est très présente dans la région. Des plantes de cacaos greffés sont offertes par les autorités et différentes associations de la région. Les agriculteurs cultivent le cacao en monoculture. Une autre possibilité est donc la plantation des fruitiers en alternance avec les cacaos: une ligne de cacao, une ligne de fruitiers. Cela permet de diminuer la concentration en cacao, cause de nombreuses maladies qui conduisent à l’utilisation de produits de chimiques dans une région ou l’agriculture est encore essentiellement organique. De plus, certains fruitiers sont des arbres qui vont procurer une légère ombre au cacao et vont apporter de la matière organique par la chute des feuilles et grâce à leurs racines profondes qui remontent les nutriments.
Plantation dans un pâturage. Si l’agriculteur veut reconvertir ses terres d’élevage en terres agricoles, il peut envisager d’y pratiquer la plantation de fruitiers. C’est le modèle le plus difficile car les plantes seront en plein soleil et la compétition avec les herbes de pâturage telles le Dalis est très rude durant les 2 premières années. Une bouture fournissant un ombrage est fortement recommandée.

 

L’équipe d’Ishpingo accompagne les agriculteurs de manière individuelle pendant et après la plantation, notamment lors de l’entretien et du suivi des jeunes plants. C’est l’occasion pour nous de fournir une formation plus personnalisée à nos bénéficiaires lors de laquelle nous lui faisons part de l’itinéraire technique à adopter pour chaque espèce et des bonnes pratiques phytosanitaires à mettre en place.Formation des populations à la plantation d'arbres fruitiers Cette formation se fait lors des visites semestrielles de contrôle des plantations durant laquelle nous appliquons de l’engrais organique foliaire aux jeunes plants et nous réalisons leur taille.
Ceci permet aux fruitiers de rentrer plus rapidement en production. Les fruits récoltés serviront à améliorer l’alimentation de la famille et le surplus pourra être vendu.
Une fois leurs arbres fruitiers entrés en production, nous constatons bien souvent que les bénéficiaires distribuent des graines aux voisins et à la famille afin qu’ils les plantent chez eux. Cela est très encourageant car il permet non seulement une augmentation de la biodiversité dans des fermes voisines aux bénéficiaire du projet mais en plus il montre que la reforestation se poursuit au-delà des activités directes de l’association.