L'agroforesterie participative

#1 L’Équateur en plein bouleversement

Les réponses que nous allons tenter d’apporter à la question « L’agrosylviculture collaborative s’intègre-t-elle à la problématique du développement durable ? » s’appliquent bien entendu au contexte particulier de l’Amazonie équatorienne.
Cette question semble paradoxale tant la diversité floristique est importante sur ce territoire et tant l’arbre y est un composant omniprésent. Elle mérite néanmoins d’être observée dans un contexte territorial en plein bouleversement.
En moins d’un demi-siècle, la découverte de matières premières stratégiques a suffi pour attirer les convoitises sur un territoire qui avait été, jusqu’à présent, totalement abandonné.
La colonisation sauvage qui s’ensuivit, bouleversa une Amazonie qui est en réalité une éco-région extrêmement fragile avec un équilibre écologique instable.Le village de Zumbahua dans la province de Cotopaxi en Équateur
Son bouleversement n’est pas seulement environnemental (pollution, déforestation, érosion des sols), il est aussi social avec des milliers d’indigènes1 qui ont toujours vécu comme nomades ou semi-nomades et qui vont eux aussi coloniser leur propre territoire en établissant des communautés sédentaires et remettre en cause leurs systèmes de production, de décision et de vie sociale.
Leur confrontation avec les colons venus d’autres terres est aussi à l’origine d’une modification radicale du système économique traditionnel. Cette colonisation incontrôlée a créé le prisme d’une solution à tous les problèmes: chômage, paysans sans terre, régression économique, croissance démographique et instabilité persistante des frontières entre les pays amazoniens.
La pression appliquée sur l’environnement par les nouveaux arrivants a eu des répercussions irréversibles. Aujourd’hui, ces diverses communautés sont confrontées à de multiples problèmes et l’agrosylviculture paraît être une des rares réponses objectives dans un environnement où l’agriculture de survie a pris le dessus sur la forêt et où les sols s’appauvrissent sans cesse réduisant de facto les revenus des agriculteurs.

1 Le groupe indigène principal de notre zone d’étude sont les kichwas de l’Amazonie, devant les Huaoranis.
 

#2 Les responsabilités

Les structures économiques et l’explosion démographique de l’Équateur sont en grande partie à l’origine des flux migratoires à l’intérieur du pays. Le développement des infrastructures routières (développées avec le commerce de la banane et l’industrialisation), les réformes agraires (politique des terres vierges) encouragent implicitement la migration incontrôlée.
Pétrole se déversant directement dans la forêtPour tenter de résoudre des problèmes de politique interieure, les autorités équatoriennes continuent à inciter une partie de la population du pays à s’installer en Amazonie équatorienne. Elles le font principalement pour les raisons suivantes:
Augmentation de la production agricole (en relation avec la politique des réformes agraires).
Intégration économique et sociale avec la création d’une classe de propriétaires/exploitants, consommateurs potentiels.
Diminution des tensions sociales avec la distribution de nouvelles terres qui pourront permettre les changements structurels et techniques des latifundias (grands domaines agricoles cultivés de façon intensive) traditionnelles.
Stabilisation des frontières plus rigoureuses avec le Pérou (les conflits avec le Pérou ont fait perdre à l’Equateur une grande partie de son territoire).
Obtention de main d’œuvre pour l’exploitation des matières premières stratégiques.
L’absence d’une régulation raisonnée de la colonisation durant les années 1960 a permis aux néo-colons de s’installer sans contrôle des autorités. Les entreprises, pour la plupart étrangères, ont été incitées à investir dans les infrastructures nécessaires à l’exploitation des matières premières.
Cette politique économique a rendu les gouvernements successifs dépendants des grands groupes internationaux. À travers le développement économique, les autorités espéraient réduire les tensions internes existantes. Cette stratégie aura un impact irréversible sur la nature et les structures socio-économiques de la partie amazonienne de l’Équateur.
 

#3 Les impacts sur la forêt

La colonisation de la province du Napo (province d’Amazonie équatorienne où se situent nos actions) se caractérise par l’implantation de colonies spontanées sans projet viable. Il s‘agit d’une occupation sauvages des terres sans projet de développement stable. Les infrastructures déjà présentes incitent malheureusement la colonisation spontanée. Cette population émigrée occupe les terres situées des deux côtés des routes sur une bande de 250m de large. Les communautés ainsi constituées exploitent des parcelles d’environ 50 ha. Pour la plupart, ces populations sont originaires de la cordillère des Andes.Maïs hybride cultivé intensivement dans la province de Tena Traditionnellement, il s’agit d’éleveurs qui reproduisent leur style de vie andin en Amazonie. Or les troupeaux contribuent au tassement des sols, jusqu’à leur désertification. En effet, les sols amazoniens, extrêmement fragiles, ne peuvent pas supporter l’élevage de type intensif. Au delà de la destruction des sols, l’agriculture irraisonnée est la première cause de déforestation. De 1960 à 1987, l’IRIAC (Institut Equatorien de la Réforme Agraire et de la Colonisation) a offert 3.6 millions d’hectares au bénéfice de 13.400 familles, les colons. À l’époque, la législation équatorienne considérait qu’au moins la moitié d’une parcelles de 50 ha devait être déforestée avant qu’elle puisse être considérée comme productive et remise à un colon. Ajouté à cela, il était exigé que les terres soient cultivées à hauteur de 10% sous deux ans puis à 80% dans les 5 ans. Il est aisé de se faire une idée de l’ampleur de la déforestation qu’il y a eu en Équateur en seulement 25 ans.
Il est également important de remarquer que certains colons ont joué le rôle de « spéculateur de terres » en déboisant la moitié des surfaces occupées tout en cultivant l’autre moitié avec des méthodes intensives non adaptées à la région. Ces parcelles étaient alors revendues à des nouveaux arrivants avec une plus-value. Ces opérations étaient reproduites sur des terres dites « improductive ».
Enfin, il est essentiel de comprendre que ce ne sont pas exclusivement des colons qui se sont installés sur les terres amazoniennes. Les kichwas de l’Amazonie, qui ont toujours été nomades et semi-nomades, ont aussi profité de la situation pour s’approprier des terres de manière définitive. Ils se sont donc sédentarisés, oubliant tout un pan de leur culture, et ont participé activement au déboisement au cours de l’ère de la colonisation.
 

#4 La déforestation aujourd’hui

Ces grandes déforestations qui ont marqué la deuxième partie du XXe siècle, étaient de nature quantitative. La mise en place de l’agriculture irraisonnée, des industries des matières premières et les infrastructures routières ont mis à l’épreuve la forêt amazonienne. Déforestation massive en AmazonieAujourd’hui, les grandes déforestations laissent place à la déforestation sélective, tout aussi destructrice en terme de biodiversité.
Les agriculteurs qui ont besoin de revenus économiques toujours plus élevés passent d’une agriculture vivrière à une agriculture de rente. Dans la plupart des communautés, et surtout les communautés kichwas, l’épargne n’existe pas ou en très faible quantité. Or la coupe sélective permet d’obtenir des revenus instantanément. La forêt représente donc une sorte de « banque » au crédit illusoirement illimité au sein de laquelle la population va prélever des ressources en cas de nécessité. Compte tenu de leurs besoins croissants, elle se sert de cette épargne écologique de façon désordonnée, sans qu’une véritable politique de reforestation soit mise en œuvre pour ne pas épuiser la forêt.
Au-delà d’une réduction significative de la biodiversité sur le territoire, c’est la transmission du savoir qui est aussi mise en péril. Cela se traduit par l’impossibilité, pour les populations locales, d’identifier certaines espèces d’arbres qui peuplaient jadis un territoire vierge de toute exploitation.
 

#5 Agrosylviculture collaborative

Notre association travaille contre la déforestation sélective en replantant des espèces de bois d’œuvre qui disparaissent progressivement de la zone. Notre action est aussi pédagogique et implique les enfants des communautés dans le reboisement. Nous leur proposons notamment des travaux pratiques sur le terrain lors desquels ils doivent apprendre à reconnaître les plantes et les arbres de leur territoire.
Les modèles d’agrosylviculture collaborative que nous avons décidés de mettre en œuvre, sont la sauvegarde l’environnement, tout en procurant des moyens économiques viables à la population et en préservant le mode social traditionnel.
 

 

Agrosylviculture collaborative et développement durable
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