#1 LA FRAGMENTATION, UN DÉNOMINATEUR COMMUN.
La déforestation au niveau mondial a des causes multiples, agriculture intensive, monoculture du palmier à huile, exploitation minière, urbanisation, etc… Pourtant, en dépit de la grande diversité des causes pour lesquelles les arbres sont coupés, les conséquences sont globalement les mêmes pour les grandes forêts tropicales autour du monde : la fragmentation. Certaines forêts tropicales ont subit tellement de pression qu’il n’en reste plus que des vestiges. La forêt atlantique est l’une d’elles. Lorsque les colons portugais ont découvert cette forêt, sa surface totale était comprise entre 1 000 000 et 1 500 000 de km². Elle couvrait autrefois une grande partie de la côte atlantique du Brésil et s’étendait jusqu’au Paraguay en passant par l’Uruguay et l’Argentine.
Aujourd’hui il n’en resterait plus qu’environ 3.5%, selon les dernières estimations, principalement des petites fractions subsistant au milieu de cultures et de pâturages.
Au 21ème siècle, l’ensemble des forêts tropicales primaires de la planète ont été morcelées en 50 000 000 de fragments minuscules dont le périmètre cumulé représente presque un tiers de la distance Terre – Soleil.
#2 Les conséquences sur les végétaux
La première conséquence de cette fragmentation est une augmentation du taux de mortalité des arbres. Cela s’explique notamment parce que les arbres situés sur l’extérieur des forêts sont soumis à des conditions plus difficiles. Vents plus forts, rayonnement solaire plus intense, humidité plus basse qu’à l’intérieur des forêts. Il faut souligner que cela n’affecte pas uniquement les arbres en bordure des forêts, ce phénomène s’exerce également sur des arbres situés jusqu’à environ 100 mètres à l’intérieur de la forêt.
Une étude de l’université du Maryland a montré que le taux de mortalité des arbres dans les forêts tropicales était intimement à l’endroit où ils se trouvent. Les arbres situés en bordure ont statistiquement deux fois plus de chances de mourir. Les grands arbres souffrent le plus de ce phénomène de fragmentation, notamment parce qu’ils ont besoin de ressources en eau abondantes.
Andreas HUTH, chercheur au centre de recherche environnementale d’Helmholtz en Allemagne, et son équipe ont développé des algorithmes pour analyser des images satellites des forêts du monde entier et ont découvert qu’à l’heure actuelle 19% des forêts tropicales sont situées à moins de 100 mètres de leur bordures. Le volume de carbone généré par la déforestation pure actuelle représente 1 100 millions de tonnes. Or il faudrait ajouter 340 millions de tonnes supplémentaires à cause des effets générés par ce phénomène de bordure. Cela représente plus de 30% supplémentaire, pourtant ce surplus de dégagement n’est étonnamment pas pris en compte par les experts du GIEC.
La fragmentation joue un rôle important dans le cycle du carbone, pourtant le GIEC ne le prend pas en compte dans ses modélisations. Andreas Huth, chercheur au centre de recherche d’Helmholtz.
#3 La fragmentation augmente le taux d’extinction des espèces
Les forêt tropicales du monde abritent la majorité des espèces vivantes à la surface du globe. Malheureusement celles qui sont confinées dans des petits fragments de forêt ont plus de chance de disparaître. C’est ce que semble confirmer une étude réalisée par le journal scientifique PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences). Celle-ci ré-évalue la façon dont les scientifiques estiment le taux de disparition des espèces. Le nouveau modèle proposé par PNAS prend en compte la fragmentation des forêts et les résultats sont consternants. Selon le modèle conventionnel, connu sous le nom de SAR (Species Area Relationship), si 90% des forêts sont détruites environ 50% des espèces disparaîtront. Mais le modèle SAR se contente de considérer le total de la surface restante et ne fait pas la différence entre une seule grosse parcelle de forêt et une multitude de petites parcelles déconnectées les unes des autres.
C’est le cas des mammifères notamment. Il apparaît que même pour des espèces qui ne sont pas encore considérées comme menacées par l’IUCN (Union Internationale pour la Conservation des espèces) le risque d’extinction à cause de la fragmentation des forêt existe. Il n’y a en fait qu’une infime partie des habitats naturels de ces mammifères qui est actuellement protégée. Seulement 3.6% des espèces de mammifères vivant dans les forêts tropicales bénéficieraient d’un habitat réellement propice à assurer leur développement. Cela signifie que les 15% des zones tropicales protégées à l’heure actuelle ne sont clairement pas suffisantes.
La fragmentation a un impact majeur. Nous devrions essayer de réduire la morcellement des forêts pour augmenter les chances de survies des espèces forestières spécialisées. Stuart PIMM, Professeur à la Nicholas School of the Environment.
#4 Le point critique de percolation
Aujourd’hui les scientifiques allemands du centre de recherche environnementale d’Helmholtz utilisent des modèles mathématiques pour décrire la fragmentation des forêts à une échelle globale. Ils ont découvert des motifs récurrents qui ressemblent aux schémas utilisés pour représenter la théorie de la percolation. À la base destinée à décrire des milieux aléatoires, celle-ci s’applique parfaitement à la déforestation. Vus du ciel, les paysages de forêts abattues montrent des sortes de fractales, ces formes dont la structure est invariante quelque soit l’échelle à laquelle on les observe.
L’équipe menée par la mathématicienne Franziska TAUBERT a également découvert que les fragments de forêts tropicales de trois zones extrêmement éloignées les unes des autres présentaient des similitudes troublantes : en Amérique du Sud 11.2% des fragments de forêts ont une surface de 10000 hectares ou moins, en Afrique le chiffre est de 9.9% et en Asie du Sud Est 9.2%. Ces résultats suggèrent que la fragmentation de ces forêts est en train d’atteindre ce qu’ils appellent le point critique de percolation. En physique le point critique de percolation, aussi appelé phase de transition, indique que quelque chose est sur le point de passer d’un état à un autre, un peu comme l’eau bouillante qui est sur le point de se transformer en vapeur. Pour les forêts, le point de percolation est le point au delà duquel le taux de fragmentation augmente dramatiquement. TAUBERT et son équipe ont ainsi calculé qu’à la vitesse à laquelle la déforestation avance à l’heure actuelle, le nombre de fragments sera multiplié par 33 à l’horizon 2050. Leur surface moyenne passera alors de 17 hectares à 0.25 hectare.
Heureusement il reste encore un espoir, la reforestation et la protection des grandes forêts sont des pratiques qui, si elles sont généralisées, ont le potentiel de réduire les conséquences de cette fragmentation.
Traduit et adapté de l’anglais par Christophe IENZER
Source: https://news.mongabay.com