L’année 2022 a été bien remplie pour toute l’équipe d’Ishpingo et il est temps d’en dresser le bilan.
En 2021, nous évoquions un contexte politique compliqué en Équateur après la pandémie et les difficultés économiques qui s’en suivirent. En 2022, ces dernières se sont accentuées.
#1 L’Équateur, un contexte politique et économique difficile.
La réduction des subventions au carburant, en réponse aux exigences du FMI, qui avait déjà entrainé de fortes mobilisations sociales en octobre 2019, a engendré une nette augmentation du coût de la vie, amplifiée par l’inflation croissante au niveau mondial.
Cette situation, combinée au marasme économique d’une reprise difficile, fait peser un poids conséquent sur les populations les plus précaires dans un pays déjà marqué par de fortes inégalités. Ainsi, en juin dernier le panier mensuel de consommation basique d’une famille atteignait 735.15$, son plus haut niveau historique, quand le salaire minimum reste bloqué à 425$ par mois.
Face à la crise, de nombreux citoyens choisissent l’exil. Tant et si bien que le nombre d’équatoriens traversant le Darien (le tristement célèbre corridor qu’empruntent les caravanes de migrants sud-américains vers les États Unis) surpasse désormais celui des vénézuéliens et des haïtiens selon la BBC.
Ceux qui restent se voient obligés de se rabattre sur le secteur informel. En conséquence, l’insécurité augmente et les réseaux criminels prennent de l’ampleur, comme l’illustre la situation carcérale où les cartels se mènent une guerre sanglante pour le contrôle des prisons, ou encore la multiplication d’assassinats au style « sicariato » (une méthode inspirée des narcotrafiquants mexicains) jusque dans des villes comme Tena.
Ces organisations, jusqu’alors concentrées sur la Costa (région à l’ouest des Andes), sont désormais attirées par la manne financière que représente l’exploitation aurifère en Amazonie. En effet, le gouvernement du Président Lasso, élu en mai 2021 avec la promesse de faire de l’Équateur une puissance minière comparable au Chili, base sa politique économique sur l’extractivisme, prolongeant la dépendance du pays aux exportations de matières premières et le condamnant à subir les dommages environnementaux qui en découlent. Ainsi, l’exportation de produits miniers a augmenté de moitié par rapport à l’année dernière selon la Banque Centrale. Pour rappel, la production d’or avait déjà augmenté de 74% entre 2021 et 2022.
Les ressources du sous-sol sont abandonnées aux entreprises étrangères, en dépit de la tentative de réappropriation qu’avait menée la Révolution Citoyenne à la fin des année 2000, notamment au travers de l’article premier de la constitution qui stipule que « Les ressources naturelles non renouvelables du territoire de l’État appartiennent au patrimoine inaliénable, irrévocable et imprescriptible ».
À l’instar de l’État, ces entreprises font bien souvent fi de la loi, omettant de réaliser les études environnementales préalables, les consultations citoyennes ou les plans de remédiation, pourtant nécessaires à toute exploitation. Pire, ces dernières se cachent derrière les populations indigènes pour étendre illégalement leurs concessions. Les mineurs artisanaux qui utilisent la traditionnelle batée doivent payer un droit d’entrée pour travailler dangereusement entre les pelleteuses des compagnies minières et des oligarques locaux.
De mèche avec les pouvoirs provinciaux, ces entreprises sont informées à l’avance des contrôles et parviennent à évacuer les pelleteuses dans le bon timing. Seuls sont confisquées les outils en bois des mineurs artisanaux qui se voient accusés d’avoir ouvert eux-mêmes ce nouveau front. En dépit de la gravité des dommages environnementaux, une grande partie de la population dépend de l’exploitation minière dont les revenus importants ruissellent sur l’ensemble de l’économie locale.
Ces tensions se sont cristallisées en juin dernier autour de l’appel à la grève nationale lancé par la CONAIE face à l’échec de la politique néolibérale du gouvernement. Suite au blocage du pays pendant une vingtaine de jours et la déclaration de l’état d’urgence, des négociations ont été ouvertes autour des 8 revendications portées par les organisations sociales, parmi lesquelles figuraient le respect des droits indigènes, la juste rémunération des petits agriculteurs ou encore un moratoire sur les activités minières.
Malheureusement, en ce début d’année 2023, la CONAIE a quitté la table des négociations, dénonçant la mauvaise volonté d’un exécutif à la popularité en berne et qui fait face à de graves accusations de corruption. De plus, le récent assassinat d’un haut responsable de l’organisation, connu pour son opposition à l’extraction pétrolière, ravive les tensions et annonce un climat social mouvementé dans les prochains mois.
#2 Ishpingo se renforce.
Dans ce contexte difficile, Ishpingo s’efforce de proposer des solutions durables au travers de nos projets en faveurs de l’amélioration des conditions de vie des populations locales et de la préservation de la biodiversité.
En 2022, notre équipe s’est renforcée pour faire face à ces défis croissants ! Nous sommes heureux d’annoncer la création d’un nouvel emploi local avec l’embauche d’Angel CAJAS, jeune ingénieur récemment diplômé de l’université régionale IKIAM, qui arrive en renfort sur le projet de reforestation participative et notre tout nouveau projet de méliponiculture.
Un partenariat a été signé avec l’université afin de faciliter la coopération sur différents sujets. Une nouvelle convention a également été ouverte avec la Guilde, permettant la signature de contrat de Volontariat de Solidarité Internationale et la pérennisation du poste de Félix Nieto en tant que coordinateur de projet.
La Guilde a également permis l’arrivée de 5 Volontaires en Service Civique : Amina, Vincent, Andres, Solène et Laurie.
Coté infrastructure, nous avons également construit un nouvel appartement supplémentaire afin de pouvoir accueillir stagiaires, volontaires et autres visiteurs qui viennent nous prêter main forte. Car de l’aide, nous en avons besoin pour profiter au maximum de l’effervescence de nos projets !
#3 Reforestation, formation et sensibilisation.
La reforestation participative au plus près des communautés se porte au mieux. Après près de 20 ans de métier, nous sommes rodés !
Cette année et comme l’année dernière, ce sont plus de 70 000 arbres fruitiers, de bois d’œuvre et d’espèces médicinales qui ont été plantés sur les terres dégradées de nos agriculteurs partenaires. Au total, ce sont 14 groupes de bénéficiaires (environ 240 personnes) qui ont pu être formés aux techniques de pépinière et a l’agroforesterie.
À noter également, l’ouverture d’une nouvelle zone de travail dans le canton d’Archidona. Mais vous le savez, chez Ishpingo nous ne cherchons pas forcément à faire plus, mais à faire mieux. Ainsi, l’accent a été mis sur le développement de nos projets complémentaires, indispensables à la résilience de notre démarche. Les cours l’éducation environnementale que nous menons dans des zones stratégiques, que ce soit au sein de la zone d’amortissement du Parc National Llanganates ou dans les communautés où nous menons des projets de reforestation avec les parents, se portent pour le mieux.
L’année 2022 a été l’occasion d’affiner notre programme et notre méthodologie. Ils se déclinent désormais autour de 10 thèmes, permettant aux élèves de mieux appréhender la richesse écologique qui les entoure et de comprendre comment la préserver, au travers d’ateliers créatifs, d’expériences scientifiques et de sorties sur le terrain.
Nous avons pu faire l’acquisition de matériel pédagogique, comme des loupes et des jumelles. Au total, nous sommes intervenus dans 6 écoles communautaires, auprès de 134 élèves, avec lesquels nous avons produit près de 3000 arbres fruitiers dont une partie a servi à planter un verger dans chaque école. L’autre partie a été distribuée aux élèves qui les ont plantés dans leurs fermes familiales respectives. Ainsi, ils se sentent impliqués dès le plus jeune âge dans les projets de reboisement que nous menons avec leurs parents et dont ils hériteront un jour.
#4 Accentuer le développement de débouchés commerciaux.
Nous l’avons vu, ces projets de reforestation s’opposent directement à l’extractivisme qui menace la biodiversité dans la région. En effet, nous voulons faire de ces systèmes agroforestiers une véritable alternative économique permettant aux populations locales de vivre dignement de leurs terres tout en respectant les écosystèmes.
Pour ce faire, nous continuons nos efforts pour développer des débouchés commerciaux aux produits agroforestiers tout en assurant une juste rémunération aux agriculteurs.
Notre filière d’huiles essentielles a souffert de quelques difficultés suite à la pandémie et parce que notre production dépasse désormais les capacités de nos acheteurs. Nous sommes donc à la recherche de nouveaux clients en participant, par exemple, à divers salons internationaux.
Nous profitons de cette accalmie pour expérimenter la distillation de nouvelles espèces à la recherche d’huiles rares inédites… Et nous en avons trouvé une !
Coté fruits, nous continuons à consolider l’achat, la transformation et la vente des productions agroforestières de nos agriculteurs partenaires. Nous poursuivons également le développement de points de vente au niveau national, mais le contexte économique difficile semble orienter les dépenses des consommateurs vers les produits de première nécessité. Nous explorons donc les possibilités d’exporter vers de nouveaux marchés, avec toujours pour en ligne de mire l’augmentation du volume de vente et la juste rémunération de nos bénéficiaires.
#5 Ishpingo se lance dans la méliponiculture.
Nous sommes également fiers d’annoncer le lancement de la phase pilote de notre projet de méliponiculture.
Facilement domesticables et natives de la région, les abeilles melipones sont dépourvues de dard et élaborent un miel d’excellente qualité aux propriétés antimicrobiennes, anti-inflammatoires et cicatrisantes.
L’introduction de ruches dans les systèmes agroforestiers présente plusieurs avantages très intéressants :
- La présence d’abeilles améliore la pollinisation des différentes espèces ce qui favorise la régénération naturelle et augmente la biodiversité
- Elles augmentent la productivité des systèmes agroforestiers et accroissent les rendements des agriculteurs de manière naturelle
- Le miel a un effet positif sur la santé des populations locales qui peuvent l’utiliser de façon médicinale et l’introduire dans leur alimentation
- Les familles disposant d’une production suffisante pourront en vendre une partie, diversifiant et augmentant leur revenu.
Parmi les différentes espèces natives présentes dans notre zone de travail, nous avons sélectionné Melipona Eburnea pour son fort potentiel de pollinisation, sa productivité relativement importante et sa facilité d’adaptation aux ruches artificielles dans lesquelles elle prospère rapidement (permettant jusqu’à trois divisions au cours de la même année).
Ce projet en trois phases vise dans un premier temps à doter certains agriculteurs de ruches et de les accompagner jusqu’à la division. Une fois effectuée, le bénéficiaire nous rendra la « mère » et gardera la « fille » dont il sera désormais propriétaire. Cette contrepartie permet de nous assurer de l’implication de chaque bénéficiaire et de sa capacité à maintenir l’essaim en vie.
In fine, l’objectif sera d’amener certains bénéficiaires à devenir des « méliponiculteurs ambassadeurs » qui pourront partager leurs connaissances aux autres membres de leur communauté et ainsi permettre une meilleure conservation de ces abeilles menacées.
#6 Renforcer nos partenariats stratégiques.
Nous avons renforcé notre partenariat avec le Ministère de l’Environnement équatorien autour du Parc National Llanganates. Sanctuaire de forêt primaire, le parc et sa zone d’amortissement abritent certains des derniers arbres mères qui nous permettent de nous fournir en graines.
Malheureusement, le contexte difficile que nous évoquions en introduction, pousse de plus en plus de personnes à extraire du bois d’œuvre ou de l’or dans la zone, menaçant ce précieux écosystème. Il nous faut impérativement agir pour la conservation dans la zone sous peine de voir nos activités de reboisement menacées par la difficulté de se fournir en graines. C’est pourquoi, nous mettons en place des solutions complémentaires permettant de valoriser la forêt tout en la préservant, en plus des activités de reboisement que nous menons dans la zone depuis près de 10 ans.
Cette année, la cartographie des arbres mères et le traçage GPS de plusieurs sentiers nous a permis d’affiner notre base de données tout en offrant de nouvelles routes de contrôle aux gardes forestiers. L’inventaire floristique et faunistique que nous menons en parallèle, a également pour but de promouvoir l’écotourisme dans la zone. Centré autour du point de contrôle des gardes forestiers et du centre d’interprétation que nous y créons, rayonnant au gré des sentiers autoguidés vers les différents points d’intérêt, le tourisme représente une alternative supplémentaire à l’extractivisme.
Cette année s’est conclue avec la visite de deux de nos principaux partenaires. Les « Congés Solidaires » de Maison du Monde, ont permis à une dizaine de collaborateurs de l’entreprise de venir connaitre sur place notre projet. Ce fut un réel plaisir de faire découvrir nos activités et de partager notre expérience avec ces personnes grâce à qui les campagnes de collecte de dons en caisse sont toujours un succès !
Enfin, l’audit mené par « Good Planet » et « A Tree For You » fut un formidable moment d’échange et le bilan plus que positif de leur visite sont autant d’encouragements à continuer avec détermination les actions que nous entreprenons en 2023.
Ishpingo sembrando el futuro.
Félix NIETO et toute l’équipe Ishpingo.