Après une année 2020 complexe et une équipe amoindrie à cause de la crise sanitaire, Ishpingo est repartie de plus belle en 2021 avec :
- l’embauche de Félix (ancien service civique),
- l’embauche d’un nouvel employé local, Marc-Anthony,
- l’arrivée de 5 services civiques : Clémentine, Charlie, Ana, Benjamin et… re Benjamin.
Augmenter les effectifs nous a permis de mettre un nouveau coup d’accélération à nos activités. Il faut bien ça car la situation générale de la région n’est pas des meilleures.
#1 L’industrie extractive se développe en Amazonie équatorienne.
La crise économique due à la pandémie est rude et le pays peine à se maintenir debout. Le prix des combustibles a presque été multiplié par 2 en un an et les produits agricoles basiques (farines, huiles…) ont également suivi cette tendance.
Tout le monde trinque… mais comme trop souvent, ce sont les classes populaires qui en pâtissent le plus.
Un autre facteur important à prendre en considération est la forte immigration de vénézuéliens vivant l’enfer dans leur pays et des urbains nationaux qui, depuis la pandémie veulent tenter leur chance en Amazonie, région à faible démographie et qui a la réputation d’être une terre d’opportunités mais aussi d’opportunisme.
La hausse des prix, combinée avec la difficulté de trouver du travail, ont engendré une forte baisse du pouvoir d’achat. Soyez sûr qu’en 2021 le Père Noël n’a pas eu beaucoup de travail dans la province du Napo.
Alors quand la préoccupation principale est de se nourrir, les gens ont légitimement tendance à oublier de se soucier de l’environnement. Ils ont donc votés pour Guillermo LASSO, un président qui promet la création d’emplois grâce à une politique libérale, essentiellement basée sur l’extractivisme, en particulier des ressources pétrolières et minières. Et ce, à n’importe quel prix…
La province du Napo est riche en pétrole mais surtout en or. Toutes les terres ont été mises en concession à des entreprises étrangères qui ont commencé l’exploitation du sous-sol en dépit des lois qui garantissent les droits des autochtones et assurent la protection de leur environnement.
Leurs activités hautement polluantes se déroulent en toute impunité et avec la complicité des autorités. Les ressources s’épuisent rapidement et les populations n’y gagnent rien. Pire, elles voient la nature dont elles dépendent être détruite.
Ce n’est que le début de l’exploitation minière à grande échelle. Celle qui ne bénéficie qu’à une poignée de personnes et fait des milliers de victimes environnementales.Antoine VULLIEN, fondateur d’Ishpingo.
L’or s’évapore, en revanche le mercure et le plomb nécessaires à l’extraction de ce minerai restent. On les retrouve partout, dans les rivières puis dans les poissons, dans les terres puis dans les cultures, pour finir inévitablement dans l’organisme des humains qui peuplent la région…
Les habitants des secteurs dans lesquels nous travaillons ne peuvent plus pratiquer d’agriculture bio car les sols sont contaminés. Petit à petit ils découvrent les effets secondaires de cet orpaillage industriel : la prolifération des moustiques, vecteurs du paludisme et de la dengue, qui se multiplient dans les trous béants laissés par les pelleteuses.
Et on le sait déjà, dans quelques années émergeront cancer et autres maladies…
Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres du détournement d’un bien ancestral appartenant à des populations indigènes d’Amazonie qui avaient pourtant su le gérer de manière durable et le préserver durant des siècles. L’orpaillage artisanal quelques jours dans l’année, leur permettait de s’acheter les produits basiques nécessaires tels que le sel, le sucre, l’huile, des cartouches, des bottes, des casseroles etc… Encore aujourd’hui de nombreuses familles vont chercher de l’or en bord de rivière les semaines précédant la rentrée scolaire afin d’acheter les fournitures et les uniformes.
#2 Extractivisme VS Développement durable
Ishpingo s’oppose de manière pacifiste à cette politique extractiviste de court terme en continuant de proposer un modèle agro forestier durable, rentable et équitable.
Concernant la reforestation, nous avons réussi en 2021, à unir 13 groupes d’agriculteurs pour qu’ils puissent créer chacun leur propre pépinière.
Au total, ce sont 250 agriculteurs que nous avons accompagnés individuellement à reboiser leur ferme sous forme de plantations agro forestières. Ils ont tous été formés lors des travaux collectifs de pépinière pour la production de plants, lors des plantations dans leurs fermes respectives mais aussi lors de la visite de notre ferme modèle. Une activité bien rodée et sur laquelle nous n’allons pas nous attarder.
Juste 2 chiffres dont nous nous satisfaisons : plus de 70 000 arbres ont ainsi été plantés, équivalent au reboisement de 175 hectares de terres dégradées.
Un résultat largement supérieur aux années précédentes et qui n’aurait pas eu lieu sans le soutien des fondations, entreprises et particuliers qui nous financent.
Notre ONG grandit progressivement, mais plutôt que de se focaliser uniquement sur le nombre d’arbres plantés, Ishpingo choisit de diversifier ses activités, recherchant un développement plus intégral et durable.
Et quoi de plus important pour concrétiser cette volonté de durabilité que l’éducation environnementale dans les écoles. Sensibiliser les enfants sur des problèmes qui les touchent aujourd’hui et sur lesquels ils pourront agir demain. Cette prise de conscience des populations dès le plus jeune âge nous semble primordial.
Notre méthodologie reste encore à développer. L’expérience de ces prochaines années nous aidera à nous améliorer. Nous nous appuyons sur les méthodes de travail employées dans les projets de reforestation et dont les bénéficiaires ne sont autres que les parents d’élèves. Pourquoi se priver si cela fonctionne avec les plus grands ?
Au programme des ateliers pratiques et participatifs une fois par mois durant lesquels sont également dispensés des enseignements théoriques. Et de la reforestation bien sûr, dans un but pédagogique nous exploitons les pépinières aujourd’hui présentes dans chacune des 6 écoles avec qui nous collaborons. Les arbres fruitiers qui y sont cultivés servent à la plantation de vergers dans les établissements scolaires. Ces espaces se convertiront après quelques années en jardins agro forestier riches en biodiversité et en plaisir pour les enfants qui pourront se délecter de fruits tropicaux à l’heure de la récréation.
À la fin de l’année scolaire, nous accompagnons chacun des 150 élèves bénéficiants du programme pour planter une vingtaine d’arbres dans la ferme familiale. Un travail qui se fait en collaboration avec les parents et qui permet un échange intergénérationnel sur des thèmes pas toujours abordés en famille. Ce dialogue facilite la transmission du savoir d’une génération à l’autre et est une étape clé dans la préservation de la culture kichwa.
Pour faire naître en eux cette nécessité de reboiser leurs terres, nous abordons des thèmes qui les touchent au quotidien comme la biodiversité, l’eau, la gestion des déchets, la pollution, l’orpaillage, la chasse. Nous essayons de leur faire prendre conscience de la singularité du mode de vie des populations indigènes souvent exemplaires en terme d’exploitation durable des ressources. De l’importance de conserver ces habitudes malgré l’arrivée d’une pensée plus consumériste synonyme d’agriculture intensive, de produits chimiques, de déclin de la biodiversité, de production de déchets plastiques, de pollution des sols et des rivières.
Ces thèmes sont abordés parfois dans une salle de classe sous forme d’ateliers ludiques ou créatifs mais aussi lors de sorties en forêt primaire ou dans la ferme pédagogique agro forestière d’Ishpingo. Tous ces ateliers doivent les conduire à se questionner sur leur orientation future : Afin d’augmenter mes revenus, suis-je prêts à détruire mon environnement ? Et acquérir plus de biens me permettra-t-il toujours d’améliorer mes conditions de vie ? L’agro foresterie est-elle une alternative qui me permettrait de combiner l’augmentation de mes revenus et la conservation d’un environnement propice à mon bonheur ?
Cela peut paraitre utopique, je vois déjà quelques sourires en coin, mais nous y croyons fermement. Et contrairement à beaucoup de gens qui s’évertuent à défendre cette vision des choses lors de grandes conférences internationales coûteuses et polluantes (pour ne pas dire sans grande utilité), nous employons toute notre énergie à le démontrer sur le terrain.
Comment ? En achetant une partie des produits issus de systèmes agro forestiers. Ça marche et ce n’est que le début. Enfin on espère…
#3 Développer les filières.
La filière de l’huile essentielle de cannelle amazonienne (aussi appelée Ishpingo) se consolide petit à petit. Sa rareté et sa qualité exceptionnelle en font un produit à haute valeur ajoutée qui contribue à l’augmentation des revenus des familles en leur assurant une juste rémunération.
Cette année près de 50 000 dollars de feuilles ont été achetés à 200 paysans agro forestiers kichwas. Nous essayons de développer un échange commercial basé sur la confiance et la satisfaction des 2 parties.
L’objectif est de développer une véritable alternative économique, sociale, solidaire et durable à l’extractivisme.
En effet, 60% du prix de vente de l’huile correspond au prix d’achat des feuilles.
Après avoir expérimenté différentes modes de récoltes et de techniques post récoltes, nous avons mis en place une méthode qui permet à la fois de récolter la totalité des feuilles d’un arbre (on dirait un arbre à feuilles caduques au sortir de l’hiver) et de favoriser sa repousse sans provoquer trop de stress à l’arbre. De cette manière, un an et demi plus tard, il est à nouveau récoltable !
Pour pouvoir annuellement transporter puis transformer presque 100 tonnes de feuilles en huile, il nous a fallu investir dans un petit camion et dans une distillerie digne de ce nom. Un grand merci à la fondation Maison du monde, à la fondation GoodPlanet et la fondation Léa Nature pour leur soutien financier ainsi qu’aux particuliers et entreprises ayant participé au financement Miimosa.
Grâce à tout ce beau monde, depuis septembre, notre distillerie tourne à plein régime avec ses 2 alambiques de 1000 litres et une chaudière à vapeur qui fonctionne à l’énergie hydroélectrique 100% renouvelable.
Ishpingo a réussi à opérer sa transition énergétique depuis l’Amazonie avec peu de moyen alors il est difficile de croire que des entreprises aux bénéfices exubérants n’y parviennent pas. Ne serait-ce pas un simple manque de volonté ? Ou peut-être que l’argent est passé d’un moyen d’arriver à un objectif (bien-être, santé, éducation, diminution des inégalités, etc…) à une simple finalité, au détriment de tout le reste.
Enoncé ainsi, cela ressemble à une régression sociétale et culturelle justifiée par la nécessité de maintenir la croissance économique dans un monde où les ressources naturelles sont pourtant limitées. C’est de la folie. Il est temps de penser à ré-inverser la tendance.
Ishpingo insiste sur la diversité d’activité. Et même si la filière des huiles essentielles a le vent en poupe, nous poursuivons nos efforts dans l’agro-alimentaire. Notamment avec la filière des pulpes et confitures sur laquelle nous travaillons depuis 2015. Après une année et demie sans activité due à la pandémie, nous avons relancé nos partenaires et les ventes ont repris. En espérant qu’elles décollent en 2022 grâce à la distribution dans divers points de vente au niveau national. Nous avons également participé à plusieurs foires d’exposition au niveau local et dans la capitale Quito.
#4 Poursuivre notre chemin sans jamais se décourager
Et puis il y a toutes les autres filières à créer qui attendront un peu car on ne peut pas tout faire à la fois mais qui, on l’espère, se développeront tôt ou tard.
Alors bien sûr à l’échelle des problèmes planétaire, tout cela peut sembler dérisoire, mais tant que nous aurons le soutien de nos fidèles financeurs et que les populations locales restent motivées, travaillent dur et le font toujours dans la joie et la bonne humeur, nous poursuivrons notre chemin sans nous décourager, en espérant que notre modèle d’agro écologie et de commerce basé sur le respect de la nature et de l’être humain puisse devenir un exemple pour certains.
Ishpingo sembrando el futuro.
Antoine VULLIEN , Flore MOSER et toute l’équipe Ishpingo.