On ne peut pas commencer le bilan de l’année 2020 sans évoquer la crise sanitaire mondiale du COVID. Oui, je vous le confirme, l’année fut assez compliquée pour Ishpingo mais elle l’a surtout été pour les populations locales…
En temps normal faire quelques dollars n’est déjà pas chose facile mais là, quand tous les transports ont été interdits et que les filières de ventes des produits agricoles ont littéralement disparu, la situation est devenue vraiment compliquée.
Évidemment, les touristes qui font vivre beaucoup de familles kichwas ont déserté. Et pour couronner le tout, la réponse de l’État dans les zones les plus marginalisées est restée très limitée.
Alors, il a fallu mettre en exergue ses capacités de résilience pour survivre. Et pour cela, rien de tel que de posséder une ferme dédiée à l’agroforesterie. Les fruitiers plantés quelques années auparavant ont permis aux agriculteurs d’avoir des fruits en cette période de disette.
On a même assisté à un exil urbain. Quelques chose d’inimaginable quelques semaines auparavant. L’économie de la ville de Tena étant totalement paralysée, ses habitants se sont souvenus qu’ils avaient un petit bout de terrain ou même de la famille à la campagne. La solidarité a fait son travail. Il y avait toujours un régime de banane plantain à récolter, quelques racines de manioc pour faire de la chicha ou des fruits à croquer. C’est frugal mais suffisant pour traverser cette période difficile.
Malheureusement avec l’arrivée de nouvelles bouches à nourrir à la campagne, quelques parcelles de forêts ont été coupées, laissant place à une agriculture de survie. De grands arbres ont été coupés pour fournir des murs et un toit à ces nouveaux arrivants.
#1 Le retour de la médecine traditionnelle.
Mais le plus incroyable fut le retour de la médecine traditionnelle. En Amazonie, les gens préféraient rester chez eux plutôt que d’aller dans un hôpital où tout manque cruellement. Certains ont tenté de mettre en pratique ce qui se disait sur les réseaux sociaux (aspirine, gnole, médicaments à usage vétérinaire…).
Voyant l’inefficacité de ces remèdes « miracles », les gens se sont rapidement tournés vers les plantes. Non seulement pour lutter contre le virus une fois contaminés, mais surtout pour prévenir de la maladie en fortifiant le système immunitaire.
D’abord les plantes déjà connues de tous (gingembre, eucalyptus, miel, citron…) puis certaines plus méconnues, notamment des espèces dont certains arbres avaient été plantés avec l’aide d’Ishpingo au sein de système agro forestiers bien particuliers.
Alors bien sûr, il n’y a pas eu de suivi scientifique prouvant l’efficacité de ces remèdes. La chaleur et l’humidité ont peut-être limité la virulence du SARS-CoV2 ou du moins ralenti sa progression.
Mais ce qui est clair, c’est que malgré des conditions socio-culturelles propices (fort tissu social, promiscuité, tradition de la chicha…) peu de formes graves se sont développées et la mortalité dans la région est restée faible comparée au reste du pays.
Et même si l’efficacité de cette médecine naturelle sur le COVID n’est pas prouvée, nous pouvons affirmer que la prévention des maladies passe par une alimentation saine et variée. Pourquoi encourager la consommation de fruits et légumes mais pas celle d’écorces, de feuilles et de racines ? Pourtant que ces ressources proviennent toutes de la pachamama, n’est-ce pas ?
Un argument de plus montrant l’importance de participer à la conservation des arbres mères comme nous le faisons depuis 2 ans maintenant, en motivant les propriétaires de ces arbres par l’achat annuel des graines ou plantules de régénération que nous utilisons pour nos projets de reforestation.
Durant cette période singulière, Ishpingo en a profité pour développer ses connaissances en arbres médicinaux et rajouter une composante dans ses projets de reforestation visant à améliorer la résilience des populations locales en termes de santé. Car malheureusement ces arbres dont l’écorce est utilisée sont peu nombreux et beaucoup d’arbres mères ont été entièrement pelés ce qui a conduit à leur mort.
Nous avons envie de croire que le sacrifice de ces arbres médicinaux ont permis de sauver des vies humaines.Antoine VULLIEN et Flore MOSER, fondateurs d’Ishpingo.
Nos nombreuses sorties en forêt primaire accompagnés par des kichwas connaissant à la fois leur environnement et la pharmacopée, nous ont permis d’identifier plusieurs espèces d’arbres mères possédant des propriétés médicinales. Des soigneurs (shaman), des guérisseuses nous ont partagés leurs connaissances. Ainsi nous avons appris à préparer des remèdes obtenus, soit par décoction, soit par macération alcoolique.
La plupart étant une combinaison de plantes, nous avons essayés de déterminer quelles propriétés médicinales avait chaque espèce et quelle quantité devait être utilisée afin d’élaborer un remède efficace. Ensuite, pour pouvoir inclure ces espèces médicinales dans nos projets de reforestation, il a fallu trouver la réponse aux questions suivantes :
- Comment propager ces espèces ?
- À quoi ressemblent les graines ?
- Quand l’arbre fructifie-t-il ?
- Comment semer les graines ?
- Comment cultiver les plants en pépinière ?
- Dans quelles conditions les planter ?
Aujourd’hui nous sommes capables de produire des plants de quelques espèces médicinales mais il reste un énorme travail de recherche à fournir pour étoffer notre gamme qui permettra aux populations locales d’avoir une pharmacopée complète dans ses agroforêts et augmentera ainsi la biodiversité. Une centaine d’espèces différentes d’arbres et arbustes ça commence à faire…
#2 Résilience à la crise sanitaire.
La résilience est un terme qui, parfois, peut sembler abstrait ou même être incompris, mais qui est en revanche très concret chez Ishpingo et ses bénéficiaires.
Là où ça devient encore plus intéressant c’est quand on observe le mode de fonctionnement de l’ONG Ishpingo. Elle a les mêmes caractéristiques (avantage et inconvénients) qu’une agroforêt. Très lent au démarrage, son développement s’accélère progressivement pour arriver finalement à une stabilité apaisante. Et sa diversité lui permet de s’adapter sans trop de difficulté à beaucoup de situations.
Ainsi, Ishpingo développe plusieurs activités toutes liées les unes aux autres. La reforestation reste notre cœur de métier et grâce à nos partenaires financiers toujours plus nombreux, nous avons réussi en 2020, à unir 13 groupes d’agriculteurs pour qu’ils puissent créer chacun leur propre pépinière.
Au total, ce sont un peu plus de 200 agriculteurs que nous avons réussi à accompagner individuellement à reboiser leur ferme sous forme de plantations agro forestières. Ils ont tous été formés lors des travaux collectifs de pépinière pour la production de plants, lors des plantations dans leurs fermes respectives mais aussi lors de la visite de notre ferme modèle. Leurs enfants aussi sont sensibilisés à ces problématiques durant les ateliers d’éducation environnementale que nous organisons dans certaines écoles.
Près de 50 000 arbres ont ainsi été plantés, équivalent au reboisement d’une centaine d’hectares de terres dégradées. Un résultat similaire à 2019. Pour une année de pandémie c’est plutôt un bon résultat.
#3 Susciter l’engouement des populations locales.
Une autre certitude d’Ishpingo a été confirmée cette année : pour les populations locales, une des principales sources de motivation à la conversion en agro forêts de leurs fermes essentiellement agricoles, est la vente assurée des récoltes. C’est pour cela qu’Ishpingo poursuit ses efforts dans la transformation et la commercialisation de plusieurs fruits et feuilles.
La vente de fruits sur le marché local a été faible, le transport a été largement compliqué par la pandémie et la majorité des récoltes ont en fait été consommées directement par les producteurs. La vente de confitures a également nettement ralenti. Du coup, nous nous sommes concentrés sur l’obtention des registres sanitaires d’une nouvelle confiture papaye-gingembre, de notre pâte à tartiner bio choconana (chocolat banane) et de l’huile essentielle de cannelle amazonienne.
La filière huile essentielle de cannelle amazonienne (ishpingo en kichwa) s’est quant à elle largement développée. L’exportation vers les États-Unis de plus de 200 kg d’huile essentielle a permis l’achat de 40 000 $ de feuilles à 200 producteurs. La rareté et la qualité exceptionnelle de l’huile essentielle d’ishpingo en font un produit à haute valeur ajoutée qui contribue à l’augmentation des revenus des familles en leur assurant une juste rémunération. En effet, 60% du prix de vente de l’huile correspond au prix d’achat des feuilles.
En conséquence de la création de cette filière équitable, nous observons un engouement croissant pour l’ishpingo et les systèmes agro forestiers.
#4 Ishpingo amorce sa transition énergétique
Le développement de cette filière s’est fait très rapidement et il nous a fallu cette année améliorer les capacités de production. Nous avons commencés par le commencement : une distillerie digne de ce nom. Il reste encore à faire les finitions mais nous avons à disposition un bâtiment de 400 m2 où nous mettons à sécher les feuilles.
Nous allons maintenant pouvoir l’équiper d’un deuxième distillateur, le tout alimenté par une chaudière électrique !
Cherchant continuellement à se développer durablement, c’est-à-dire en alliant protection de l’environnement, développement économique, et bien-être social, Ishpingo opère sa transition énergétique depuis l’Amazonie grâce à l’utilisation d’une énergie hydroélectrique 100% renouvelable.
Nous allons bientôt pouvoir dire adieu à cette chaudière diesel polluante… Un grand MERCI à tous les généreux donateurs qui nous ont permis d’amorcer notre transition énergétique.
#5 Remerciements
Il ne nous reste plus qu’à féliciter les responsables du bon fonctionnement d’Ishpingo et du développement de ses activités :
- Tout d’abord les populations locales kichwas qui participent au projet et qui sont les principaux acteurs du développement durable. Toujours avec le sourire aux lèvres, ils ont décidés de continuer à nous faire confiance en misant sur la résilience par l’agroforesterie permettant une gestion durable de leur espace. Et on peut dire qu’en cette période difficile, ce choix a été payant.
- Les fondations et les entreprises petites, moyennes et grandes qui ont contribuées au financement des projets d’Ishpingo. De plus en plus nombreuses, elles nous aident à diversifier et pérenniser nos activités notamment avec l’embauche d’un technicien local, Marco Aguinda et de Félix Nieto qui vient rejoindre Flore et Antoine en tant que coordinateur de projets après une année de service civique.
- Et puis les bénévoles, stagiaires et services civiques Viviane, Francesca, Laurent, Félix, Antoine, Maël, Gaia et Stéphane, qui ont travaillé dur avec nous mais l’ont fait dans la joie et la bonne humeur, car plus qu’un travail, planter un arbre est une passion.
Ishpingo sembrando el futuro.
Antoine VULLIEN , Flore MOSER et toute l’équipe Ishpingo.